12 février 2009 - Paroisse Saint-Philippe du Roule
Les fidèles de la forme extraordinaire du rite romain et ceux de la forme ordinaire forment-ils deux communautés ? À regarder les débats de ces dernières semaines, il semble que cela soit le cas. Ce sont en effet deux communautés, deux rites, deux théologies qui s’opposent en ce moment.
Deux rites ? Avec ce qui, à mes yeux, demeure un profond scandale : le refus de nombreux prêtres traditionalistes de célébrer dans la forme ordinaire du rite romain. Comme si le fossé était plus large entre les deux formes du rite romain, qu’entre le rite romain et les rites orientaux catholiques. Pourtant, officiellement, il n’y a pas deux rites, mais un seul, sous deux formes. « Deux mises en œuvre de l’unique rite romain », comme le soulignait Benoît XVI dans le motu proprio Summorum Pontificum (art. 1). Ou alors, ce n’est là qu’une fiction juridique !
Car qu’est-ce qu’un rite ? « Le rite, souligne le Code des canons des Églises orientales, est le patrimoine liturgique, théologique, spirituel et disciplinaire qui se distingue par la culture et les circonstances historiques des peuples et qui s’exprime par la manière propre à chaque Église de droit propre de vivre sa foi. » (CCEO, can. 28 §1).
Au-delà de la liturgie, le rite, c’est donc un droit propre, une organisation propre, fruits d’une histoire et d’une culture propres. Or, rien de tel entre les deux formes du rite romain, toutes deux issues de la même histoire. C’est ce que rappelait Benoît XVI dans sa lettre aux évêques, accompagnant le motu proprio Summorum Pontificum : « Il n’y a aucune contradiction entre l’une et l’autre édition du Missale Romanum. L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture ». Ainsi, la forme ordinaire est-elle la continuité de la forme extraordinaire.
Pour moi, le clivage est à chercher ailleurs : dans deux cultures, deux visions du monde.
D’un côté une vision de « chrétienté », de l’autre une vision de « catholicité », celle qui a fait émerger Vatican II. D’un côté une vision pessimiste d’un monde perçu comme fondamentalement mauvais, source d’erreurs contre lesquelles l’Église doit se défendre (d’où l’insistance sur le Syllabus de Pie IX). De l’autre, une vision optimiste qui, sans sous-estimer les faiblesses de ce monde que « Dieu a tant aimé jusqu’à lui donner son Fils unique » (cf. Jn 3, 16), croit en sa rédemption.
C’est là, à mon avis, qu’il faut chercher : d’un côté l’insistance sur la messe comme sacrifice (au risque d’oublier que c’est aussi le mémorial du dernier repas du Seigneur) ; de l’autre l’insistance sur le repas (au risque d’oublier que c’est le mémorial du sacrifice pascal). En résumé : d’un côté la Croix (au risque d’oublier la résurrection) ; de l’autre la résurrection (au risque d’oublier la Croix). Mais, dans un cas comme dans l’autre, le risque est d’oublier une part importante de la foi de l’Église !
Et tel est bien le risque auquel l’Église est aujourd’hui confrontée, chacun se bricolant sa « petite foi ».
D’un côté, à cause de ce que Jean-Paul II appelait, dans le motu proprio Ecclesia Dei adflicta, « une notion incomplète et contradictoire de la Tradition », se bricoler sa petite tradition (il suffit de surfer sur les sites internet traditionalistes pour constater que chaque internaute se fait sa propre tradition en piochant dans les textes de l’Eglise avant Vatican II). De l’autre, des liturgies qui peuvent toucher à « l’autocélébration de l’assemblée », comme le regrettait le cardinal Ratzinger dans L’Esprit de la liturgie.
Mais, dans un cas comme dans l’autre, on est dans l’erreur, on est dans l’Église self service. Or, la liturgie ne se choisit pas, on la reçoit de l’Église. Tout comme l’Église ne se choisit pas, elle est reçue.
C’est ce qui ressort de ce que je considère comme un texte majeur du cardinal Joseph Ratzinger, sa conférence en juillet 2001 à Fontgombaut :
« Il y a un problème très réel : si l’ecclésialité devient une question de choix libre, s’il y a dans l’Église des églises rituelles choisies selon un critère de subjectivité, cela crée un problème. L’Église est construite sur les évêques, selon la succession des Apôtres, dans la forme des Églises locales, donc avec un critère objectif. Je suis dans cette Église locale et je ne cherche pas mes amis, je trouve mes frères et mes sœurs ; et les frères et les sœurs, on ne les cherche pas, on les trouve. Cette situation de non arbitrarité de l’Église dans laquelle je me trouve, qui n’est pas une église de mon choix mais l’Église qui se présente à moi, est un principe très important. (…) Ce n’est pas mon choix, comme si j’allais avec tel groupe d’amis ou avec tel autre ; je suis dans l’Église commune, avec les pauvres, avec les riches, avec les personnes sympathiques et non sympathiques, avec les intellectuels et les stupides ; je suis dans l’Église qui me précède. Ouvrir maintenant la possibilité de choisir son Église “à la carte”, cela pourrait réellement blesser la structure de l’Église. »
Alors, bien sûr, ce que Benoît XVI a décidé dans son motu proprio Summorum Pontificum semble aller à l’encontre de ce que disait le cardinal Ratzinger… De même, la solution qui instituerait la Fraternité Saint-Pie-X comme une sorte de structure parallèle aux structures diocésaines, la faisant ainsi apparaître comme une Église que l’on se choisit. Oui, « cela pourrait réellement blesser la structure de l’Église »…
Et ce serait la porte ouverte à tous les excès. Car, si d’un côté on a une Église choisie qui piocherait dans la Tradition ce qu’elle estimerait être juste, qui piocherait dans Vatican II ce qu’elle estimerait ou non conforme à cette Tradition, pourquoi pas, de l’autre côté, une Église qui ordonnerait prêtres des hommes mariés, voire même « ordonnerait » des femmes ?
C’est pourquoi, et je finirai par là, il est important de rappeler qu’il y a un certain nombre de points non-négociables. Vatican II en fait partie.
Contrairement à une image bien ancrée dans les milieux traditionalistes, Vatican II n’est pas un concile pastoral. C’est un concile doctrinal avec un but pastoral.
Son but est en effet pastoral : Vatican II n’a pas été convoqué pour condamner une hérésie mais pour trouver une meilleure façon de dire au monde la foi de l’Église. Et c’est bien là un but éminemment doctrinal ! C’est ce que rappelait Jean XXIII dans son discours inaugural du Concile, le 11 octobre 1962 :
« Le XXIe Concile oecuménique (…) veut transmettre dans son intégrité, sans l'affaiblir ni l'altérer, la doctrine catholique qui, malgré les difficultés et les oppositions, est devenue comme le patrimoine commun des hommes. (…)Ce qui est nécessaire aujourd'hui, c'est l'adhésion de tous, dans un amour renouvelé, dans la paix et la sérénité, à toute la doctrine chrétienne dans si plénitude, transmise avec cette précision de termes et de concepts qui a fait la gloire particulièrement du Concile de Trente et du premier Concile du Vatican. (…) Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c'est-à-dire les vérités contenues dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. (…) On devra recourir à une façon de présenter qui correspond mieux à un enseignement de caractère surtout pastoral. »
Le Concile fait donc partie du magistère authentique de l’Eglise (c’est en effet le pape et le collège épiscopal qui se sont exprimés en confirmant la doctrine de l’Église. Une doctrine à laquelle l’Église demande « une soumission religieuse de l'intelligence et de la volonté » (canon 753).
Alors, évidemment, on peut débattre sur l’interprétation des textes du Concile. C’est bien ce que fait Benoît XVI, par exemple, dans son discours de décembre 2005 à la Curie, quand il distingue une herméneutique de la « rupture » et celle, qu’il privilégie, de la « réforme », ou de la continuité. C’est justement en faisant émerger la juste herméneutique de Vatican II qu’on favorisera sa réception dans l’Église. Et, pour cela, l’Église a besoin de tout le monde…
Mais si on peut discuter du Concile, qu’il soit clair qu’on ne peut discuter le Concile.