L’ouvrage montre comment la crise est le fruit de la rencontre entre l’histoire singulière d’un homme, Marcel Lefebvre, et d’un certain nombre de rancœurs présentes dans la société française. Mgr Lefebvre subit l’influence de la pensée de Maurras et de l’Action française au Séminaire français de Rome, par l’intermédiaire du supérieur, le P. Le Floch.
Son départ en mission en Afrique, où il fait merveille, explique également son éloignement de ce que la France va vivre dans les années 1930, lors du second conflit mondial et dans l’après-guerre. C’est donc tout naturellement que vont se rallier à lui différents courants : partisans de l’intransigeantisme catholique en réaction à la Révolution française, militants et activistes déçus, passés par le pétainisme et l’Algérie française. L’opposition au Concile, identifié comme « l’effondrement catholique », cristallisera cette dérive intégriste.
Pas d’abord une affaire de messe en latin dite dos au peuple L’abondante documentation du livre permet de comprendre que l’intégrisme n’est pas d’abord une affaire de messe en latin dite dos au peuple. Tirés à la fois de la biographie de Mgr Lefebvre par l’abbé Tissier de Mallerais et des études historiques universitaires, les documents accumulés dévoilent une position de fond. Elle comprend une certaine idée de la Révélation de Dieu, ainsi qu’une position de l’Église à l’égard du monde moderne qui ne peut accepter la liberté religieuse et la reconnaissance d’une dignité humaine autonome.
On le mesure bien dans l’échec de toutes les tentatives de conciliation lancées par les papes, de Paul VI à Benoît XVI. Par des extraits de lettres, des minutes de conversation entre Mgr Lefebvre ou ses successeurs et les papes, Nicolas Senèze montre comment se durcit la logique d’enfermement sur une base d’opposition à Vatican II.
L’auteur n’en conclut pas que l’opposition à la réforme liturgique n’a joué aucun rôle. Mais il montre comment elle a plutôt servi de bannière de ralliement au début des années 1970, et non lors du Concile. On découvre aussi combien nombre de fidèles qui avaient soutenu Mgr Lefebvre, pour sa volonté de restaurer la messe de saint Pie V, s’écarteront finalement de lui : mesurant les soubassements idéologiques, ils ne le suivront pas dans l’opposition radicale à Rome et dans le schisme. L’attachement à la « messe de toujours » ne suffit pas pour être intégriste.
On est vite passionné par ce livre où se déploie largement la narration mais où l’auteur, en bon informateur, distille les notices théologiques : qu’est-ce que la Tradition ? Peut-on laisser les fidèles choisir leur rite ? Peut-on en appeler à la Tradition contre le pape ? Quiconque cherche des repères pour voir clair dans ces difficiles questions y trouvera son compte… et des éléments de discernement.
Laurent Villemin