Comment lire la lettre adressée par le pape aux évêques ? Qu’en avez-vous retenu d’essentiel ?
D’abord, sa forme, son ton, et son style très personnel. C’est une lettre personnelle du Pape adressée aux évêques, ce n’est pas très fréquent . Ensuite, dans le contenu, j’en ai retenu des éléments de relecture sur ce qui s’est passé au cours des semaines écoulées qui sont une certaine façon de prendre acte ou de reconnaître les dysfonctionnements qui ont marqué cette période. Ensuite une question : est-ce que c’était le plus important à faire ? Est-ce que c’était le plus urgent à faire ? Et je crois qu’il vaut la peine de méditer la réponse du Pape qui dit que ce n’est effectivement ni le plus important, ni le plus urgent, car le plus important et le plus urgent pour l’Église, c’est d’annoncer la Bonne Nouvelle et d’être témoin du Dieu qui nous envoie.
Que dit le pape sur le fond ? À quoi vous résumeriez le fond de la lettre ?
Le fond de la lettre c’est : « Je dois exercer un ministère de communion entre tous les membres de l’Eglise. J’ai essayé de l’exercer à l’égard de cette partie des chrétiens qui se sont séparés ou qui ont été séparés, sans l’avoir choisi eux-mêmes et j’ai ouvert une porte pour qu’ils puissent rentrer ». Maintenant, pour qu’ils rentrent, il y a des conditions qui sont très précisément exprimées et formulées par le Pape.
Précisément, il dit bien dans cette lettre qu’il n’avait qu’une idée en tête : unir les croyants, les rassembler. Mais quand le message ne passe pas très bien, quand visiblement sa prise de position est contestée à l’intérieur de l’Église (puisque vous-même, à la conférence épiscopale, vous avez exprimé des réserves), alors est-ce que ce n'est un simple problème de compréhension, de communication ou est-ce qu’il y a quelque chose de plus grave dans notre Église catholique entre les gens qui ne voudraient pas se comprendre, ou ne pourraient plus se comprendre ?
Non. Je pense que nous avons
une difficulté d’actualité, si je puis dire, une difficulté
contemporaine, dans le sens ou nous devons vivre dans un monde qui est
dominé par des messages médiatiques. Les messages médiatiques qui
sont faits pour être entendus et compris sont nécessairement réducteurs.
Il faut dire que l’on ne va pas faire des considérations, des dissertations
dans un journal. Donc un certain nombre de chrétiens, peut-être insensiblement
ou inconsciemment, ne retiennent de la réalité
que ce que donne la manchette du journal et donc, forcément, ils ont
une approche réduite d’une question par ailleurs assez difficile.
Donc s’il y a des incompréhensions, je pense qu’elle se situent
déjà à ce niveau là, c’est-à-dire un défaut de modèle. Il y a un modèle médiatique et un modèle institutionnel, qui ne sont pas exactement les mêmes, qui ne concordent pas forcément. Ensuite il
y a certainement aussi une difficulté,
que j’aurais tendance à localiser en Europe Occidentale,
à considérer que l’univers entier se réduit
à l’Europe occidentale et à cette petite péninsule qui termine
l’Europe. L’Église dans le monde ce n’est pas l’Église en France.
Comment vous expliquez ce que vous avez évoqué tout à l’heure, à sa voir la tonalité d’un pape visiblement blessé, d’un Pape qui parle de haine à son endroit, qui dit qu’on a voulu l’offenser. Comment vous expliquez ce ton ?
Je pense que le pape a
été vraiment surpris d’abord, et ensuite blessé
par un certain nombre de réactions ou en tout cas d’expressions qui
ont exprimé des réactions. Quand j’ai eu l’occasion de le rencontrer, je lui ai expliqué
que parmi les réactions que nous avions constatées en France, il fallait
bien distinguer les réactions qui
étaient le fait d’un groupuscule qui est toujours prêt
à « dévorer de l’Église » si cela se présente (y compris parmi
les chrétiens) et puis des chrétiens et des non-chrétiens qui exprimaient
finalement, à travers leurs réactions, une attente
à l’égard de l’Église qu’ils trouvaient compromise. Donc ce
n’était pas une réaction d’hostilité, une réaction de combat
vis-à-vis de l’Église ou vis-vis du pape, c’était une réaction
de déception ou d’exigence. Il a très bien compris.
Comment avez-vous reçu cette lettre personnellement, en tant qu’évêque et aussi en tant que Président de la conférence épiscopale qui avait envoyé un message, à savoir des réserves sur la levée d’excommunication des quatre évêques ?
J’ai reçu cette lettre avec beaucoup d’émotion d’abord en raison de sa facture personnelle et du ton personnel que le pape emploie. Je l’ai reçu avec soulagement parce que je vois dans cette lettre un signe que le pape, à sa manière, entend ce qui a été dit et essaye d’y apporter des éléments de réponse. Il ne donne pas des solutions globales à tout, mais il dit : ce qui s’est passé doit nous faire réfléchir.
Cette lettre est-elle de nature à apaiser un peu le malaise ?
Elle apaisera certainement
ceux qui se posaient des questions et qui n’avaient pas de position
très arrêtées; Elle n’apaisera pas ceux pour qui la réaction porte,
non pas sur la décision du pape, mais sur le pape lui-même.
Au moment où
Benoît XVI écrivait cette lettre, une autre affaire suscitait des remous
dans l’Église mais aussi partout dans le
monde : c’est l’excommunication qui a visé
une famille et des médecins qui ont effectué
un avortement sur une jeune fille de 9 ans qui avait
été violée et qui s’est retrouvée enceinte de deux enfants et
dont la santé était menacée. Au moment où
justement Benoît XVI dit dans sa lettre qu’il faut annoncer Dieu
comme Amour, peut-on excommunier dans ces conditions ?
Je pense que ce sont deux situations nettement distinctes. Sur la situation de ce qui s’est passé au Brésil, je ne sais rien des faits, autre que ce qui a été dit dans les journaux. Donc ma réaction ne porte pas sur une critique de telle ou telle prise de position locale, elle porte sur la ligne générale, sur l’esprit général. Que l’on soit opposé à l’avortement, tout le monde le comprend, qu’on le dise et qu’on le répète, tout le monde le comprend aussi, sauf ceux qui n’entendent pas qu’on le dise. Mais ceci étant dit, être opposé à l’avortement, cela ne veut pas dire accabler les gens qui sont dans une situation de détresse. Cela veut dire comment les aider et, de mon petit point de vue, je ne pense pas que le fait, sauf situation exceptionnelle que je ne connais pas, de déclarer publiquement l’excommunication de la mère de la fillette et du médecin fasse progresser grand monde, aussi bien parmi les intéressés que dans l’Église du Brésil.
Recueilli par Dominique Gerbaud