Dès les premières pages, on tombe sur de telles erreurs factuelles qu’on en reste atterré, et que le livre y perd tout crédit. Relevons-en quelques-unes au hasard.
Nicolas Senèze affirme (p. 10) que « plusieurs évêques ont refusé la décision du concile Vatican I sur l’infaillibilité pontificale », alors que, au contraire, tous les évêques se rallièrent à ce dogme, ce qui obligea les dissidents (les « vieux catholiques ») à aller demander l’épiscopat aux schismatiques d’Utrecht.
Il situe (p. 33) la prise de Rome par les troupes du roi de Savoie en 1871, alors que la Porta Pia fut franchie le 20 septembre 1870.
Décrivant les experts les plus connus du Concile (p. 36), il fait de Karl Rahner un Suisse alors qu’il s’agit d’un Allemand, d’Edward Schillebeeckx un Néerlandais quand c’est un Belge, de Hans Küng un Allemand quand c’est un Suisse.
Parlant des épiscopats qui eurent une forte influence et constituèrent l’ossature de la « majorité » au Concile (toujours p. 36), il cite les évêques français, allemands et hollandais, oubliant carrément la Belgique qui, avec le cardinal Suenens, Mgr de Smedt, Mgr Delhaye, Mgr Charue, Mgr Cerfaux, Mgr Phillips, Mgr Onclin et, plus généralement, les experts de Louvain, eut une influence si déterminante sur le déroulement de Vatican II.
Il place le Chapitre général qui vit la démission de Mgr Lefebvre (p. 48) en septembre 1969, alors qu’il s’agit de septembre 1968.
Nicolas Senèze n’hésite pas à écrire (p. 60) : « Ralph Wiltgen souligne l’influence des évêques “des bords du Rhin” (Allemands, Hollandais, Belges et Français) dans le concile. Les intégristes le comprennent surtout comme une influence, forcément néfaste pour eux, des pays protestantisés contre la romanité ». La Belgique et la France seraient donc devenues subrepticement (pour les intégristes, sans doute) des « pays protestantisés » ?
Il signale l’exode rural qui vide les campagnes (p. 64) et assure néanmoins dans le même temps que « la population rurale passe ainsi de 56 % à 69 % de la population totale entre 1954 et 1975 ».
Il soutient (p. 68) que la concélébration est « rendue obligatoire le Jeudi saint », alors que la concélébration n’est jamais requise, comme le rappelle notamment le canon 902 du Code de droit canonique. Dans le même genre d’imprécisions, il prétend (p. 166) que « tout prêtre oriental peut célébrer selon le rite latin », ce qui est évidemment faux, et contraire en particulier au canon 846 § 2, qui rappelle que « le ministre célébrera les sacrements selon son rite propre ». Il se contredit d’ailleurs sur ce point deux pages plus loin, affirmant (cette fois-ci à juste titre) que « dans l’Église, on ne choisit pas son rite : on célèbre celui de sa propre tradition ».
Il assure (p. 128) que « quinze prêtres de la Fraternité Saint-Pie X (…) fondent la Fraternité Saint-Pierre », alors qu’ils n’étaient que douze.
Dans la foulée de la reconnaissance de l’abbaye du Barroux en juillet 1988, il invente (p. 129) une « reconnaissance » en 1988 et un « rattachement à Rome » des abbayes de Fontgombault, de Randol et de Triors, abbayes qui, depuis le début de leur existence, étaient évidemment reconnues canoniquement et rattachées à Rome.
Brouillé avec les noms, il orthographie en particulier systématiquement « Cellier », quand le livre dont il s’inspire abondamment, Benoît XVI et les traditionalistes (et qu’il cite en bibliographie, mais toujours avec la même faute), lui indique clairement que ce nom s’écrit « Celier ».
Lorsqu’il commence par situer avec raison (p. 46) l’intervention de Josef Ratzinger au Katholikentag de Bamberg en juillet 1966, il nous rassure ; mais la déception arrive peu après (p. 151) lorsque, inexplicablement, il finit par la dater de 1965.
Bref, l’ouvrage fourmille d’erreurs factuelles plus ou moins graves. A cela s’ajoutent les arguments usés jusqu’à la corde, les explications qui, il y a trente ans, n’expliquaient déjà rien du tout et qui, aujourd’hui où la Tradition est plus vivace que jamais, sentent la naphtaline. Ainsi, tout au long de son livre, Nicolas Senèze essaie de démontrer que le traditionalisme est simplement une affaire politique, car ses adeptes ne sont qu’un ramassis de vieux pétainistes, d’anciens disciples de Maurras et d’ex-nervis de l’OAS ; affirmation bien étrange quand on sait que la moyenne d’âge desdits traditionalistes se situe largement en dessous de 40 ans.
Pour lui, le traditionalisme est essentiellement, voire exclusivement, un phénomène français, quand les Etats-Unis représentent un foyer majeur de la fidélité à la messe tridentine, sans oublier l’Allemagne, la Suisse, et aujourd’hui les Philippines ou le Gabon.
A ses yeux, la crise des années 60-70 n’a été qu’une sorte de rhume des foins, quand le récent ouvrage de Mgr Maurice Gaidon, Un évêque français entre crise et renouveau de l’Eglise (éditions de l’Emmanuel, 2007) témoigne au contraire du cataclysme terrifiant que cela a été, au moins en France.
D’après Senèze, les errements liturgiques sont désormais oubliés et abandonnés, alors que les documents romains les plus récents ne cessent de tirer la sonnette d’alarme sur ce point précis. Il ose affirmer que les traditionalistes ne sont tels que parce qu’ils n’ont rien compris à la liturgie, quand la lettre du pape accompagnant le Motu Proprio affirme explicitement que la réaction s’est développée avant tout chez ceux qui avaient « une remarquable formation liturgique, ainsi qu’une familiarité profonde et intime avec la forme antérieure de la célébration liturgique ».
En clair, un livre « ni fait, ni à faire », un ouvrage déjà lu cent
fois, qui remâche – en moins bien – ce que beaucoup d’autres ont déjà
dit depuis longtemps. On attend encore une étude sérieuse de cette
crise qui n’est pas tant celle des « intégristes » que de l’Eglise que
le cardinal Ratzinger comparait, un peu avant son élection au Souverain
Pontificat, à une barque qui « prend l’eau de toutes parts ».
Grégoire Celier