Éminence Révérendissime,
Votre lettre du 30 décembre, lettre de vœux et de nouvelle proposition d’accord nous est bien parvenue. Nous avons beaucoup tardé à y donner réponse car elle nous laisse perplexes. Permettez-moi d’essayer d’y répondre avec le maximum de franchise, seul moyen d’aller de l’avant.
Nous sommes sensibles à vos efforts et à ceux du Saint-Père pour nous venir en aide, et nous voyons que ce geste d’ouverture de votre part est certainement très généreux, par suite, nous craignons beaucoup que notre attitude et notre réponse ne soient pas comprises. Lorsque nous avons émis notre requête de deux préalables tout au début de nos discussions, et que nous avons plusieurs fois répété notre demande, nous indiquions tout simplement une démarche à suivre ontologique, nécessaire : avant de lancer le tablier d’un pont, il est indispensable de construire les piles de celui-ci. Sinon l’entreprise sera vouée à l’échec. Nous ne voyons pas comment nous pourrions arriver à une reconnaissance sans passer par un certain nombre d’étapes.
Parmi ces étapes, la première nous semble être le retrait du décret d’excommunication. L’excommunication frappant les orthodoxes a pu être levée sans que ceux-ci aient en rien changé leur attitude envers le Saint-Siège ; ne serait-il pas possible de faire une chose semblable à notre égard, à nous qui ne nous sommes jamais séparés et avons toujours reconnu l’autorité du Souverain Pontife, telle que l’a définie le concile Vatican I. Lors de notre sacre en 1988 nous avons prêté le serment de fidélité au Saint Siège ; nous avons toujours professé notre attachement au Saint Siège et au Souverain Pontife, nous avons pris toutes sortes de mesures pour bien montrer que nous n’avions pas l’intention de monter une hiérarchie parallèle : il ne devrait tout de même pas être si difficile de nous laver de l’accusation de schisme…
Et en ce qui concerne la peine pour la réception de l’épiscopat, le code de Droit canonique de 1983 prévoit que la peine maximale ne doit pas être appliquée dans le cas où un sujet a agi sous la nécessité subjective. Si le Saint Siège ne veut pas accorder qu’il y a état de nécessité objective, il devrait pour le moins admettre que nous percevons les choses ainsi.
Une telle mesure serait reconnue comme une ouverture réelle de la part de Rome et elle créerait un nouveau climat, nécessaire pour aller plus avant.
En même temps, la Fraternité se soumettrait à ce que nous pourrions appeler analogiquement une visite ad limina, le Saint-Siège pourrait nous observer et examiner notre développement sans qu’il y ait pour l’instant davantage d’engagement des deux côtés.
En ce qui concerne les formules que vous nous demandez de signer, elles supposent un certain nombre de conditions que nous ne pouvons accepter et qui nous laissent fort mal à l’aise.
Les propositions supposent que nous soyons coupables et que cette culpabilité nous a séparés de l’Église. Pour réparer, et pour s’assurer de notre orthodoxie, on nous demande une sorte de profession de foi limitée (le concile Vatican II et le Novus Ordo).
La plupart de nos prêtres et fidèles ont dû faire face directement à l’hérésie, souvent au scandale liturgique grave, provenant de leurs propres pasteurs, tant des prêtres en charge que d’évêques. Toute l’histoire de notre mouvement est marquée par une suite tragique de faits de ce genre, jusqu’à ce jour où continuent de nous joindre religieux, séminaristes et prêtres qui ont dû faire la même expérience. Vous ne pouvez pas demander d’amende honorable ou de contrition parce que, seuls, délaissés des pasteurs et trahis par eux, nous avons réagi pour conserver la foi de notre baptême ou pour ne pas déshonorer la divine Majesté. Il est impossible d’analyser les sacres de 1988 sans considérer le tragique contexte dans lequel ils se sont déroulés. Sinon, les choses deviennent incompréhensibles et la justice ne peut plus y trouver son compte.
De plus, il est souvent mentionné que notre statut serait une concession, et que l’on nous accorderait une situation due à notre « charisme propre ».
Faut-il rappeler que ce à quoi nous sommes attachés est le patrimoine commun de l’Église catholique romaine ? Nous ne demandons ni ne voulons de statut particulier dans le sens qu’il serait la marque d’un particularisme, mais nous voulons une place « normale » dans l’Église. Tant que la messe tridentine sera considérée comme une concession particulière, nous restons des marginalisés, dans une situation précaire et suspecte. C’est aussi dans cette perspective que nous réclamons un droit qui n’a jamais été perdu : celui de la messe pour tous. C’est déjà léser ce droit que de le réduire à un indult (qui plus est provisoire selon certaines voix romaines).
Dans la situation actuelle où tout ce qui est de saveur traditionnelle devient immédiatement suspect, nous avons besoin d’un protecteur et défenseur de nos intérêts auprès de la Curie. Il s’agit bien davantage de représenter la Tradition à Rome que d’établir un délégué du Saint Siège aux affaires traditionnelles, comme c’est le cas pour Ecclesia Dei aujourd’hui. Pour que cet organisme ait quelque crédibilité et corresponde à son but, il est important qu’il soit composé de membres provenant de la Tradition catholique.
Accomplir une « reconnaissance » sans avoir d’abord réglé dans leur principe ces questions, c’est vouer « l’accord pratique » que l’on nous propose à l’échec, car demain nous espérons bien agir avec la même fidélité qu’aujourd’hui à la Tradition catholique.
Voulant conserver la franchise avec laquelle nous traitons de ces questions, (ce qui n’est pas une question d’arrogance ou de manque de charité), nous serions condamnés demain comme nous l’avons été hier.
Au baptême s’établit un contrat entre l’âme chrétienne et l’Église : « Que demandez-vous de l’Église ? » « La foi ». C’est ce que nous réclamons de Rome : que Rome nous confirme dans la foi, la foi de toujours, la foi immuable. Nous avons le droit strict de réclamer cela des autorités romaines et nous ne pensons pas pouvoir progresser réellement vers une « reconnaissance » tant que Rome n’aura pas montré sa volonté concrète de dissiper le nuage qui a envahi le temple de Dieu, obscurci la foi et paralysé la vie surnaturelle de l’Église sous le couvert d’un Concile et de ses réformes subséquentes.
En espérant que cette lettre apporte sa contribution au dépassement de l’immobilité actuelle, nous Vous assurons, Éminence, de nos prières quotidiennes pour l’accomplissement de Votre lourde charge en cette heure grave de la sainte Église.