Loué soit Jésus-Christ!
Aujourd'hui trois figures attirent notre regard de croyants,
dans cette Basilique Patriarcale de Sainte-Marie-Majeure: Marie
la Très Sainte, le Pierre d'aujourd'hui, et Saint Pie V.
1. Marie, la Très Sainte Mère de Dieu
Tournons donc
notre premier regard vers Marie la Très Sainte, la Mère de Dieu,
la Theotokos.
La Divine Providence nous a réunis dans cette Basilique, première
église mariale de Rome et de l'occident, nous qui sommes des catholiques
de différentes parties du monde unis dans la même foi. Nous nous
adressons à Vous, Mère de Dieu, heureux d'avoir été accueillis dans
votre maison, dans le cadre de cette année du Rosaire proclamée
par le Saint-Père.
Salve, sancta Parens, enixa puérpera Regem, qui caelum terramque
regit in saecula saeculorum.
Dans ce saint temple, tout nous parle du mystère
de l'incarnation du Verbe de Dieu dans le sein de la Vierge Marie.
Ici, elle nous apparaît dans son rapport permanent avec le mystère
auguste de la Trinité Sainte. Le Père qui, dans son dessein de salut,
a voulu envoyer son Fils vers le monde, demande à Marie de Nazareth
son adhésion et son consentement. L'Esprit Saint la féconde, arche
de la nouvelle alliance, temple d'or. Et voilà le miracle: ecce
concipies in utero et paries filium et vocabis nomen eius Iesum.
Marie donne chair au Verbe éternel (cf. Lc. 1, 30-38).
Mais ce temple ne nous reporte pas seulement en esprit à Bethléem,
à cet et incarnatus est de notre profession de foi :
la "confession" sous cet autel, avec les reliques de la
mangeoire que l'on y vénère, en perpétue le souvenir. Cette basilique
nous reporte aussi à notre commune espérance en la résurrection
et en la gloire. Il suffit de contempler la splendide mosaïque de
l'abside: Marie, depuis l'annonciation jusqu'à sa glorieuse assomption.
C'est toute l'existence de Marie la Très Sainte, présentée à
la contemplation priante du croyant. C'est le mystère de toute notre
existence qui est reproduit ici.
En effet, une des intuitions du Concile Oecuménique Vatican II,
en continuité avec toute la Traditio Ecclesiae, consiste à faire
le lien entre la Très Sainte Vierge Marie et l'Eglise, dont elle
est l'icône la plus éloquente. Le chapitre VIII de la Constitution dogmatique Lumen gentium est dédié à la « Très Sainte Vierge
Marie, Mère de Dieu dans le mystère du Christ et de l'Église. » « Reconnue et honorée comme la vraie mère de Dieu et du Rédempteur »,
elle est, également, « la fille préférée du Père et le temple
de l'Esprit Saint » ; et elle est dans le même temps, « un
membre singulier de l'Eglise et son image, son meilleur modèle dans
la foi et dans la charité, et l'Eglise catholique, enseignée par
l'Esprit Saint, la vénère d'une affection de pitié filiale comme
sa mère très aimée » (Lumen gentium, n. 53).
Le même Concile nous présente ainsi la Sainte
Vierge comme étant toujours présente aux vicissitudes quotidiennes
de l'Eglise, de chacun de ses membres, et une fois de plus il la
rend présente à nos affections: l'Auxilium Christianorum. En elle
nous contemplons toute la beauté de l'Eglise telle qu'elle a été
pensée et qu'elle est née dans le cœur divin de son Fondateur, chez
qui tout est lumière, et chez qui il n'y a pas d'ombres. Ces dernières,
dans notre chemin historique, viennent de la nature humaine de ses
membres, pauvres pécheurs qui ont toujours besoin de conversion
et de salut.
2. Le successeur de Pierre
La seconde figure qui est
intensément présente aujourd'hui, c'est la personne vénérée du Saint-Père,
l'Évêque de Rome et, en tant que tel, le Successeur de Saint Pierre.
Il est - comme l'enseigne le Concile Vatican II en continuité avec
Vatican I - « le principe et fondement perpétuel et visible
de l'unité, tant des Évêques que de la multitude des fidèles » (Concile Œcuménique Vatican II, Const. Lumen gentium, 23; cf. Concile
Vatican I, const. Pastor Aeternus, introduction, DZ 3050-3051).
Au milieu des flots de l'histoire, il est « le Roc ».
C'est là l'expression araméenne utilisée par le Divin Fondateur
de l'Eglise à propos de Simon, telle que la rapporte le chapitre
16° de l'Évangile de Saint Matthieu. Mais pour mieux comprendre
la pensée du Christ sur le Roc, l'épilogue du chapitre VII du même
évangile nous éclaire. Pour Jésus le roc, la pierre, c'est la fondation
: si le bâtiment repose sur elle, la tempête la plus terrible peut
bien se déchaîner, la maison résiste. La consistance du nom conféré
à Pierre est donc claire. Le concept de Pierre contient celui de
consistance, de résistance, de cohésion, de fermeté, de solidité
et de force.
Avec l'éloquence qui le caractérise, Saint Léon le Grand enseignait: « Cette disposition de la Vérité demeure à jamais; et Pierre,
en persévérant dans cette solidité de la pierre qui lui a été assignée,
n'a plus abandonné le gouvernail de l'Eglise. En effet, il a été
préposé à tous les autres, de sorte que, quand on l'appelle 'pierre',
quand on le dénomme 'fondement', quand il est constitué 'gardien
du royaume des cieux', quand il est préposé comme arbitre de l'œuvre
de lier et de délier dont les jugements resteront stables jusque
dans les cieux, il nous est donné de connaître quelle est son union
avec le Christ à travers le mystère de ces surnoms » (S. Léon
le Grand, Sermo 3).
C'est à Jean Paul II, notre Pape bien-aimé, que vont notre pensée,
notre prière et notre profond et affectueux sens de la communion
ecclésiale. Au cours de ces vingt-cinq ans, sa vie et son ministère
apostolique suprême sont caractérisés par la défense infatigable
de la Vérité, par le dévouement total à la cause de l'unité de l'Eglise
et par l'œuvre pastorale prophétique et courageuse pour la promotion
de la vraie et juste paix entre les peuples et entre tous les hommes.
Plus sa personne physique semble fragile, et plus fort se dresse
son rôle moral et spirituel devant l'humanité. « Et toi, confirme
tes frères! » (Lc 22, 32).
Nous sommes plus que jamais conscients des orages et des défis
qui se présentent pour le Corps Mystique du Christ. Tel est le sort
de l'Eglise, divine dans son essence et humaine dans ses membres.
Nous souffrons de tant de contradictions, que la nature humaine
et le péché peuvent infliger à l'histoire tourmentée de notre humanité
et à la marche de l'Eglise, en pèlerinage vers la Patrie définitive.
Mais nous sommes invités à renouveler constamment notre confiance
au Seigneur de l'Histoire, Fondateur et Tête invisible de son Corps
Mystique: « N'ayez pas peur... J'ai vaincu le monde » (Jn
16,33).
L'Eglise est victorieuse de par l'assistance permanente de l'Esprit
Saint, garant de la continuité de la foi catholique: « et les
portes de l'enfer ne prévaudront point » (Mt 16, 18). Victorieuse,
parce que dans les Sacrements nous est garantie la grâce qui transforme
et qui sanctifie. L'Eglise est victorieuse, parce que construite
sur le roc de Pierre, qui n'est autre que le roc même du Christ.
Victorieuse, parce que la communion avec les Pasteurs légitimes
garantit cette note de catholicité, indispensable pour rester dans
la société mystique du Corps du Christ. L'Eglise est victorieuse
en ses Saints: comme sont nombreuses et emblématiques les figures
de sainteté sublime par lesquelles le Saint-Père a étendu le sanctoral,
et qu'il nous a proposées au cours de ce quart de siècle de Souverain
Pontificat!
« Duc in altum!» s'exclame Jean Paul II, et en lui c'est
la voix même du Bon Pasteur qui résonne. « Hommes de peu de
foi, pourquoi doutez-vous?». « Jetez vos filets pour la
pêche... Duc in altum!» Et la pêche devient abondante (cf.
Lc 5, 4).
« Duc in altum!» Nous voulons prendre le large dans
la barque de Pierre. Avec Saint Léon le Grand, nous voulons réaffirmer
notre foi: « La solidité que lui, Pierre devenu pierre, a reçu
de la pierre qui est le Christ, se propage aussi dans ses héritiers...»
(St Léon, Sermo 5). Nous voulons dire avec Saint Jérôme: «Je
ne veux suivre aucune autre primauté que celle du Christ; c'est
pour cela que je me mets en communion avec la chaire de Pierre »
(Epistola ad Damasum).
Ici nous prions avec celle qui est l'Auxilium Christianorum pour
entourer le Vicaire du Christ de la chaleur de notre affection,
et nous le faisons avec la réalité la plus puissante qui soit: le
saint sacrifice de la Messe dans lequel « s'accomplit l'œuvre
de notre Rédemption » (Conc. Vat. II, Const. Sacrosanctum Concilium,
n. 2). Réalité absolument toute-puissante, en tant qu'il renouvelle,
de manière non sanglante, l'unique Sacrifice de la Croix, en rendant
substantiellement présents le Corps et le Sang du Christ. L'unique
Sauveur représente et réactualise constamment dans la Messe le fruit
infini du Sacrifice sanglant de la Croix, offert pour le rachat
de nos péchés.
3. Le vénérable rite de Saint Pie V
Aujourd'hui une
coïncidence providentielle nous permet de rendre son culte à Dieu
en célébrant le divin Sacrifice selon le rite romain qui prit forme
dans le Missel dit de Saint Pie V ; ses dépouilles mortelles reposent
justement dans cette Basilique. Voilà la troisième figure, bien
présente à cette célébration.
Vous-mêmes, très chers fidèles, particulièrement
sensibles à ce rite qui a constitué pendant des siècles la forme
officielle de la Liturgie romaine, vous avez pris l'initiative de
cette célébration d'aujourd'hui. Et j'ai été heureux de pouvoir
répondre à cette demande - qui va bien au-delà du nombre que vous
êtes - tant parce qu'elle était motivée par une dévotion filiale
au Saint-Père, à l'approche du vingt-cinquième anniversaire de Son
Pontificat, et tant pour reconnaître les fruits de sainteté que
le Peuple chrétien a obtenu de la Sainte Eucharistie dans le cadre
de ce rite.
On ne peut pas considérer que le rite dit de Saint Pie V soit
éteint, et l'autorité du Saint-Père a exprimé son accueil bienveillant
envers les fidèles qui, tout en reconnaissant la légitimité du rite
romain renouvelé selon les indications du Concile Vatican II, restent
attachés au rite précédent et y trouvent une nourriture spirituelle
solide dans leur chemin de sanctification. D'ailleurs le même Concile
Vatican II déclarait que « ... la sainte Mère l'Eglise tient
pour égaux en droit et en dignité tous les rites légitimement reconnus,
et elle veut qu'à l'avenir ils soient conservés et favorisés de
toute façon ; le Concile désire que là où c'est nécessaire, ils
soient intégralement révisés avec prudence, dans l'esprit de la
saine tradition, pour leur donner une nouvelle vigueur en fonction
des circonstances et des besoins de notre époque » (Conc. Oecum.
Vatican II, Const. Sacrosanctum Concilium, n. 4).
L'ancien rite romain conserve donc dans l'Eglise son droit de
citoyenneté au sein de la multiformité des rites catholiques tant
latins qu'orientaux. Ce qu'unit la diversité de ces rites, c'est
la même foi dans le mystère eucharistique, dont la profession a
toujours assuré l'unité de l'Eglise, sainte, catholique et apostolique.
Jean-Paul II, en célébrant le dixième anniversaire du Motu proprio Ecclesia Dei, exhortait « tous les catholiques à accomplir des
gestes d'unité et à renouveler leur adhésion à l'Eglise, pour que
la diversité légitime et les sensibilités différentes, dignes de
respect, ne les séparent pas les uns des autres, mais les poussent
à annoncer l'évangile ensemble; ainsi - poursuivait le Saint-Père
- stimulés par l'Esprit qui fait concourir tous les charismes à
l'unité, tous pourront glorifier le Seigneur et le salut sera proclamé
à toutes les nations » (OR, le 26-27 octobre 1998, p. 8).
Tout cela est un motif de gratitude spéciale envers le Saint-Père.
Nous sommes reconnaissants de cœur pour la compréhension exquise
et paternelle qu'Il témoigne à ceux qui désirent maintenir vive,
dans l'Eglise, la richesse que représente cette vénérable forme
liturgique ; elle a nourri son enfance et sa jeunesse, elle a été
celle de son ordination presbytérale, de sa première Messe, de sa
consécration épiscopale, et elle fait donc partie de sa plus belle
couronne de souvenirs spirituels.
Je sais que vous êtes immensément reconnaissants au Saint-Père
pour l'invitation qu'il a adressée aux Évêques du monde entier « à
avoir une compréhension et une attention pastorale renouvelée pour
les fidèles attachés à l'ancien rite; et, au seuil du troisième
millénaire, à aider tous les catholiques à vivre la célébration
des saints mystères avec une dévotion qui soit un vrai aliment pour
leur vie spirituelle et qui soit source de paix » (OR le 26-27
octobre 1998, 8).
Cette dévotion, comme l'enseignait l'Aquinate, doit être la plus
haute possible, « propter hoc quod in hoc sacramento totus Christus
continetur » (III q. 83, à. 4, à 5).
Nous sommes tous appelés à l'unité dans la Vérité, dans le respect
réciproque de la diversité des opinions, sur la base de la même
foi, en procédant in eodem sensu et en se souvenant
du dicton augustinien: « In necessariis unitas, in dubiis libertas,
in omnibus caritas ».
Au nom de vous tous, et de tous ceux qui aujourd'hui s'associent
à nous dans cette célébration, je répète avec la Sainte Eglise,
à la Très Sainte Trinité qui nous a donné Marie comme auxiliatrice:
« concede propitius, ut, tali praesídio muniti certantes in
vita, victóriam de hoste malígno cónsequi valeámus in morte. »
(Missale Romanum, Messe du jour, Collecte).
Loué soit Jésus-Christ.