Éminence Révérendissime,
À l’occasion des vingt-cinq ans du pontificat du pape Jean-Paul II, il nous a paru important de nous adresser à vous, ainsi qu’aux autres cardinaux, afin de vous faire partager nos préoccupations majeures sur la situation de l’Église. En raison de l’aggravation de l’état de santé du Saint-Père, nous avons renoncé à lui écrire directement bien que, initialement, l’étude ci-jointe lui ait été personnellement destinée
Par-delà
l’optimisme qui entourait les célébrations de ce 25me anniversaire, la
situation extrêmement grave que traverse tant le monde que l’Église
catholique n’échappe à personne. Le Pape lui-même, en son exhortation apostolique Ecclesia in Europa, reconnaît notamment que le temps que nous vivons est celui d’une « apostasie silencieuse » où règne une sorte « d’agnosticisme
pratique et d’indifférentisme religieux, qui fait que beaucoup
d’Européens donnent l’impression de vivre sans terreau spirituel et
comme des héritiers qui ont dilapidé le patrimoine qui leur a été
légué. »
Parmi les principales causes de ce bilan tragique, comment ne pas ranger au premier plan l’œcuménisme, initié officiellement par Vatican II et promu par Jean-Paul II ? Dans le but avoué de réaliser une unité nouvelle, au nom d’une volonté de « regarder davantage ce qui nous unit plutôt que ce qui nous divise », on prétend sublimer, réinterpréter ou mettre de côté les éléments spécifiquement catholiques qui apparaissent comme causes de division. Ainsi, méprisant l’enseignement constant et unanime de la Tradition selon lequel le Corps mystique du Christ est l’Église catholique et qu’en dehors d’elle il n’y a pas de salut, cet œcuménisme a comme détruit les plus beaux trésors de l’Église, parce que au lieu d’accepter l’Unité fondée sur la vérité entière, il a voulu construire une unité adaptée à une vérité mariée d’erreur.
Cet œcuménisme a été la principale cause d’une réforme liturgique dont on sait l’effet désastreux sur la foi et la pratique religieuse des fidèles. C’est lui qui a corrigé la Bible, dénaturant le texte divinement inspiré pour en présenter une version édulcorée, inapte à fonder la foi catholique. C’est lui qui maintenant vise à fonder une nouvelle Église dont le cardinal Kasper, dans une récente conférence, précisait les contours. Jamais nous ne pourrons être en communion avec les promoteurs d’un tel œcuménisme qui tend à dissoudre l’Église catholique, c’est-à-dire le Christ en son Corps mystique et qui détruit l’unité de la foi, vrai fondement de cette communion. De leur unité, nous ne voulons pas, parce qu’elle n’est pas celle voulue de Dieu, elle n’est pas celle qui caractérise l’Église catholique.
C’est donc cet œcuménisme que nous entendons analyser et dénoncer par le document ci-joint, car nous sommes persuadés que l’Église ne pourra correspondre à sa divine mission si elle ne commence par renoncer clairement à cette utopie et à la condamner fermement, utopie qui, selon les propres termes de Pie XI, « disloque de fond en comble les fondements de la foi catholique. »
Conscients d’appartenir de plein droit à cette même Église et désireux de toujours plus la servir, nous vous supplions de faire tout ce qui est en votre pouvoir pour que le Magistère actuel retrouve bien vite le langage multiséculaire de l’Église selon lequel « l’union des chrétiens ne peut être procurée autrement qu’en favorisant le retour des dissidents à la seule véritable Église du Christ, qu’ils ont eu jadis le malheur de quitter. » C’est alors que l’Église catholique redeviendra tout à la fois phare de vérité et port de salut au sein d’un monde qui court à sa ruine parce que le sel s’y est affadi.
Veuillez croire, Éminence, que nous ne voulons aucunement nous substituer au Saint-Père, mais nous attendons cependant du Vicaire du Christ les mesures énergiques et nécessaires pour sortir l’Église de l’embourbement dans lequel l’a mis un œcuménisme faux. Celui qui a reçu le pouvoir suprême, plénier et universel sur toute l’Église peut poser ces actes salutaires. Du Successeur de Pierre, nous espérons, dans la prière, qu’il écoute notre appel alarmé et qu’il manifeste jusqu’à l’héroïsme cette charité qui a été demandée au premier pape à la réception de sa charge, la plus grande des charités – « Amas Me plus his » – celle qui doit sauver l’Église.
Daigne votre Éminence croire en nos sentiments respectueux et dévoués en Jésus et Marie.