(...) Vous voulez certainement, mes bien chers Frères, avoir aussi quelques commentaires sur la situation actuelle de la Fraternité. Où en sommes-nous ? Que se passe-t-il ? J’aimerais pouvoir vous dire que tout est lumineux ou complètement obscur, mais c’est plutôt, comme le temps aujourd’hui, nuageux et ensoleillé à la fois ! Jusqu’à un certain point, depuis au moins deux ans, nous nous trouvons constamment en face de contradictions. Il y a maintenant deux ans, en 2009, j’ai demandé une audience au Secrétaire d’Etat, le cardinal Bertone, à cause de ce problème : nous nous trouvons devant des contradictions. Je n’exagère pas le mot : contradiction. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que nous recevons de la part de Rome des messages contradictoires ; l’un dit ceci, l’autre dit cela ; et il n’y a pas seulement des divergences, mais bien des contradictions.
Je voudrais vous donner un exemple. L’année dernière, en septembre, un prêtre venait tout juste de nous rejoindre. Appartenant à un ordre religieux, il reçut une lettre de son Supérieur Provincial lui disant qu’il n’était plus membre de son ordre et qu’il était excommunié. A cette lettre était jointe un courrier de confirmation, émanant de la Congrégation pour les religieux à Rome. Cette lettre de la Congrégation pour les religieux contenait la phrase suivante : « Le Père X, n’est plus membre de votre ordre, il est excommunié pour avoir abandonné la foi en s’unissant formellement au schisme de Mgr Lefebvre ». Elle était datée de septembre dernier. Je suis donc allé à Rome et j’ai demandé au Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei ce qu’il en était. Il ne m’a même pas laissé finir la lecture de cette lettre : « Je sais, m’a-t-il répondu, et nous – la Congrégation pour la Foi – avons dit à la Congrégation pour les religieux qu’ils n’avaient pas le droit d’affirmer cela. Ils ne sont pas compétents et doivent réviser leur jugement ». Puis il continua : « Voici ce que vous devez faire avec cette lettre » [geste de jeter], tel est le geste qu’il a fait. En d’autres termes, prenez la lettre et jetez-la à la corbeille à papier ! Donc une autorité à Rome me demande de jeter une décision d’une autre autorité romaine. N’est-ce pas une contradiction ? Et le Secrétaire de la Commission Ecclesia Dei de poursuivre : « Vous devez dire à vos prêtres et à vos fidèles que tout ce qui vient de Rome ne vient pas du pape ! » Je lui ai répondu : « C’est impossible, comment voulez-vous que les fidèles, les prêtres puissent porter ce jugement ? Ce qui vient de Rome, vient du pape ! Ou alors on dira aisément : ce qui me plaît vient du pape et ce qui me déplaît ne vient pas du pape ! »
Avec cela, mes bien chers Frères, vous devez comprendre qu’il y a un grave problème à Rome. Si une autorité nous dit : « Attention ! Tout ce qui vient de Rome ne vient pas du pape », d’où cela provient-il donc ? Et comment est-ce possible ? Rome, les services du Vatican doivent normalement être comme la main du pape. Cela signifie que le pape n’en a plus le contrôle. Voilà le sens de cette phrase.
Quand je parle de contradictions, cela veut dire que certains à Rome sont prêts à nous considérer comme hors de l’Eglise, excommuniés, ayant perdu la foi, hérétiques… Et vous en avez d’autres qui nous reconnaissent vraiment comme catholiques. Mgr de Galarreta et nos prêtres, quand ils vont à Rome pour les entretiens doctrinaux, disent leur messe à Saint-Pierre ! Comment peut-on tenir ces deux positions en même temps ? Vous voyez combien la contradiction est profonde. C’est pourquoi vous pouvez comprendre combien nous restons sur nos gardes. Nous n’allons pas nous jeter dans cette tourmente, tout en sachant malgré tout saluer le soleil lorsqu’il se présente et nous protéger des nuages lorsqu’ils menacent.
Qui va gagner au Saint-Siège ? Il y a tellement d’exemples qui illustrent le fait que lorsque le pape veut faire du bien, il est freiné, paralysé. Un exemple de première main parmi tant d’autres. Un Père Abbé, supérieur de la seule abbaye trappiste en Allemagne, a demandé l’autorisation au pape non seulement de revenir à la messe tridentine, mais de pouvoir reprendre la Règle et les Constitutions antérieures à Vatican II. Le pape lui en a donné l’autorisation et il a exempté cette abbaye de la juridiction de la Congrégation des Bénédictins qui suit les règles modernes, afin de lui permettre de suivre l’usage antique, avant Vatican II. Le pape a donc placé cette abbaye directement sous son autorité. Six mois plus tard, l’Abbé appelle un de ses amis à Rome pour lui demander : « Que se passe-t-il ? Je n’ai pas de nouvelles ! » Et son ami de lui répondre : « Ecrivez de nouveau au pape, mais envoyez-moi la lettre que je la remette personnellement au pape. » Ce qu’il fit, il porta la lettre au pape et lui demanda ce qu’il en était pour cette abbaye. Très surpris, le Saint-Père répondit : « Mais j’ai accordé cette permission, il y a six mois ! » Une enquête fut faite et on trouva que quelqu’un – nous savons très exactement qui – avait rangé la lettre du souverain pontife dans un tiroir de la Secrétairerie d’Etat. Cette fois-ci, l’ami de l’Abbé – qui m’a rapporté directement cette affaire, il ne s’agit donc pas de « on-dit » – a demandé au Saint-Père : « Ecrivez ‘concesso’ (accordé) sur la lettre et je m’en chargerai, j’apporterai personnellement la nouvelle à l’abbaye. » Ils ont donc court-circuité la Secrétairerie d’Etat pour pouvoir porter la nouvelle de cette décision du pape. Ce n’est qu’un exemple.
Pour vous montrer jusqu’où le souverain pontife lui-même est limité dans son action, regardez le dernier document à propos de la messe tridentine. Là encore, nous avons un bel exemple des forces contradictoires qui s’exercent à Rome. D’une part, il est très évident qu’il y a dans ce texte une volonté d’étendre partout la messe traditionnelle, de rendre possible pour toutes les âmes l’accès non seulement à l’ancienne messe, mais à la manière dont les sacrements étaient donnés auparavant : tous les livres liturgiques sont mis à la disposition de tous. Mais il y a, d’autre part et en même temps, de surprenantes restrictions. La première, très étonnante, est que les séminaristes diocésains ne peuvent profiter de l’ancien rite, seuls ceux qui dépendent de la Commission Ecclesia Dei peuvent être ordonnés selon l’ancien rite. Pourquoi alors est-il dit que le Pontifical qui contient le rite ancien des ordinations est mis à libre disposition ?
Il y a encore pire. D’une part, on constate cette volonté de mettre à la disposition de toutes les âmes, dans le monde entier, l’ancienne messe ; puis on découvre l’article 19 qui déclare que ceux qui veulent en bénéficier ne doivent pas appartenir ni même seulement aider les groupes qui sont opposés à la nouvelle messe. Mais 95% de ceux qui veulent l’ancienne messe sont opposés à la nouvelle ! Pourquoi voulons-nous l’ancienne messe ? Si nous étions satisfaits de la nouvelle, nous ne penserions même pas à l’ancienne ! Ceux-là même sont privés de l’ancienne messe qui sont contre la validité ou la légitimité de la nouvelle messe : pour eux, rien, rien ! Mais cela n’est plus un acte de réconciliation, c’est un acte de guerre !
Je pense que ce sont précisément ces contradictions à l’intérieur même du Vatican qui expliquent que de telles divergences puissent se trouver dans un même texte : chaque partie essaie d’obtenir quelque chose. Et nous sommes ainsi au milieu de ce désordre.
Alors on entend toutes sortes de rumeurs, absolument tout ce qu’il est possible et même impossible d’entendre ! Je vous en prie, mes bien chers Frères, ne courez pas derrière ces rumeurs. Quand nous saurons quelque chose, nous vous le dirons. Nous n’avons jamais rien caché et nous n’avons aucune raison de cacher ce qui se passe. Si donc nous ne vous disons rien, c’est parce que rien de nouveau ne se passe. Certains disent que quelque chose est sur le point d’arriver. Non, ce n’est pas vrai ! La vérité est que j’ai été invité à me rendre à Rome auprès du cardinal Levada, et que ce sera pour la mi-septembre. C’est tout ce que je sais. Cela concerne les entretiens que nous avons eus avec Rome après lesquels, comme cela a été dit, « les documents de synthèse seront remis aux plus hautes autorités ». Ce sont les mots exacts, et c’est la seule chose que je connaisse du futur, tout le reste ne serait qu’invention. Alors, je vous en prie, ne courez pas après ces rumeurs.
Tout cela montre que le combat continue. Or il y a deux dangers aujourd’hui. L’un consiste à dire que tout est en ordre, tout est fini, le combat est terminé : c’est une immense illusion. Je peux vous garantir, mes bien chers Frères, que si un jour Rome régularise finalement notre situation canonique, le combat commencera, ce ne sera pas la fin ! Mais nous n’y sommes pas encore ! Combien de temps aurons-nous à attendre ? Je ne le sais pas, je n’en ai aucune idée ! Aussi nous continuons de dire qu’il y a une crise dans l’Eglise. Quelquefois c’est bien ennuyeux, parce qu’à Rome ils donnent l’impression que tout va bien, mais le jour suivant nous parlons avec eux… Et tenez voici les paroles que nous entendons de la bouche du Secrétaire de la Congrégation pour la Foi : « Vous savez, ce sont les prêtres, les évêques, les Universités catholiques qui sont emplis d’hérésies ! » Voilà ce que nous a dit, en juin 2009, le Secrétaire de la Congrégation pour la Foi ! Ils savent donc que la situation de l’Eglise est dramatique. S’ils sont capables de dire qu’il y a plein d’hérésies partout, cela signifie bien quelque chose ! Mais en même temps, ils agissent comme si tout était en ordre. C’est décevant, c’est troublant, je le reconnais, mais telle est la situation.
Ne vous laissez donc pas prendre par toutes ces illusions, mais aussi ne laissez pas le découragement vous atteindre. Ce combat est long, c’est vrai mais nous ne pouvons pas le changer. Le diable reste le diable et nous n’allons pas faire la paix avec le diable. Cela durera aussi longtemps que Dieu le permet, mais nous avons tout ce qui nous est nécessaire pour ce combat, nous avons la grâce, le soutien de Dieu. Nous devons seulement continuer ce combat, sans découragement, avec sérénité. Il est vraiment évident que nous sommes bénis de Dieu. Héritiers de l’esprit chrétien, la messe traditionnelle que nous célébrons nourrit en nous cet esprit, l’esprit du Christ, celui des disciples du Christ qui nous enseigne que nous devons rester éloignés du monde, utiliser modérément les biens terrestres qui ne sont pas ce qu’il y a de plus important. Le plus important, c’est Dieu, le Ciel ; c’est notre destinée éternelle.
Mes bien chers Frères, si je vous ai appelés à cette Croisade du Rosaire, c’est précisément pour vous aider à rester en dehors de ces pièges, de ces illusions et de tout découragement. Dans cette prière, avec cette chaîne de roses qui nous unit à la Très Sainte Vierge Marie, nous sommes certains d’être sous sa protection et de combattre le bon combat ici-bas. Elle nous guidera, soyez sans crainte. La Bonne Mère ne va pas abandonner ses enfants, mais soyez généreux, très généreux dans ces prières. Nous n’attendons pas de bons fruits pour l’Eglise obtenus par de simples arrangements humains, nous espérons les obtenir par des moyens surnaturels, et précisément la prière est le plus puissant moyen que nous possédions.
Je vous invite donc à réciter le Rosaire, à bien le prier, la quantité n’importe pas tant que la qualité : la façon de prier. Pourquoi la Très Sainte Vierge Marie a-t-elle apporté le Rosaire à saint Dominique ? Quel était son but ? C’était d’unir les fidèles à Dieu dans la contemplation, par la méditation des différents événements de la vie de Notre Seigneur et de la Très Sainte Vierge Marie. Tel est le but du Rosaire. Il ne s’agit pas seulement de réciter quinze dizaines ou plusieurs chapelets, cela n’est que la mélodie, la musique de fond qui nous aide dans la méditation des mystères qui nous unissent à Notre-Seigneur Jésus-Christ, à la Très Sainte Vierge Marie. Prions donc bien ! Le Rosaire bien médité – nous pouvons en être certains – est un moyen très puissant. Sœur Lucie de Fatima a osé dire que la Très Sainte Vierge Marie a donné une efficacité spéciale à cette prière de telle sorte que le Rosaire deviendrait la solution à tous les problèmes, à chaque difficulté.
En poursuivant cette cérémonie, mes bien chers Frères, remettons-nous bien sous la protection de la Très Sainte Vierge Marie, sous la protection du Saint-Esprit lui demandant d’enflammer ce monde, de déposer le feu de sa charité de plus en plus dans le cœur de ces nouveaux prêtres et diacres. Qu’ils communiquent à leur tour ce feu au monde, le feu invincible de la charité, l’amour de Dieu et du prochain pour l’amour de Dieu. Ainsi soit-il.