Monseigneur, merci d’accepter de répondre à nos questions. Qu’est-ce qui fait la différence entre ces entretiens doctrinaux et les précédents échanges ayant eu lieu du vivant de Mgr Lefebvre, par exemple à propos des Dubia ?
Auparavant, les échanges étaient plutôt informels, sauf en quelques rares occasions, comme au début du pontificat de Jean-Paul II. Mgr Lefebvre, tout en présentant les principales objections aux nouveautés – et en protestant énergiquement contre les scandales qui secouaient l’Église –, cherchait alors un accord plutôt pratique : il pensait que Rome pourrait lui laisser faire « l’expérience de la Tradition » en accordant à la Fraternité Saint-Pie X une régularisation canonique avant tout débat de fond. Après 1988 il a clairement indiqué la marche à suivre : porter la discussion sur le terrain doctrinal, sur l’essence même de la crise qui fait tant de ravages. Aujourd’hui, le Saint-Siège nous a accordé sans contrepartie ces fameux entretiens doctrinaux, de manière officielle. Cela sera pour nous l’occasion de témoigner de la foi et de nous faire l’écho de deux mille ans de Tradition, sans nous priver de reprendre certaines études, comme justement les Dubia sur la liberté religieuse qui, à l’époque, n’avaient pas obtenu de réponse satisfaisante.
Seule la Fraternité a obtenu ces entretiens, sérieux et presque solennels. Aucune communauté Ecclesia Dei n’en a obtenu. A votre avis, est-ce le signe du bien-fondé de notre attitude de résistance et de refus d’un compromis ou d’une reconnaissance canonique équivoque, ou bien est-ce le signe que les communautés Ecclesia Dei n’ont finalement plus grand-chose qui les distingue de la ligne conciliaire ?
C’est sans doute le signe des deux.
Pouvez-vous nous donner une liste exacte des thèmes abordés, Monseigneur ?
Vous les trouvez dans le communiqué de presse qui a suivi la première rencontre, le 26 octobre dernier : « En particulier seront examinées les questions concernant la notion de Tradition, le missel de Paul VI, l’interprétation du concile Vatican II en continuité avec la Tradition doctrinale catholique, les thèmes de l’unité de l’Église et des principes catholiques de l’oecuménisme, du rapport entre le christianisme et les religions non chrétiennes et de la liberté religieuse. »
La philosophie moderne et les nouveaux concepts (témoignage, dialogue, ouverture, engagement, expérience, etc.) seront-ils à l’ordre du jour des discussions ?
Tous ces sujets sont sous-jacents à bien des problèmes touchant la nouvelle ecclésiologie, et il paraît inévitable qu’ils soient évoqués à l’occasion de ces entretiens qui, je vous le rappelle, tournent autour du concile et de son aggiornamento.
Est-il possible d’observer une discrétion totale autour de ces conversations ? N’y a-t-il pas des bruits qui ont déjà filtré ?
Pas à ma connaissance, si ce n’est quelques aspects secondaires touchant à l’organisation générale de ces conversations.
Quelle est la raison pour laquelle le Vatican et la Fraternité tiennent à garder une si grande discrétion autour des conversations doctrinales ?
Il est très important que le climat des discussions soit paisible et serein. Nous vivons à l’heure de la médiatisation et de la démocratie universelle où chacun juge de tout et donne son opinion sur tout. Les questions de théologie et les enjeux sont tels qu’il est préférable de laisser les choses se faire dans la discrétion. Le moment venu, si nécessaire, il sera toujours temps d’en rendre compte publiquement.
On dit souvent qu’entre Rome et la Fraternité, on ne se comprend pas parce qu’on n’a pas le même langage. Est-ce vrai de nos actuels interlocuteurs romains ? Comment faire pour avoir le même langage ?
Il est encore trop tôt pour vous répondre. Nous avons en tout cas affaire à de brillants esprits avec lesquels nous devrions pouvoir échanger. La formation philosophique thomiste est bien évidemment la meilleure façon de procéder.
Les théologiens que Rome a choisis sont-ils à votre avis représentatifs du courant général théologique dans l’Église aujourd’hui ? Ou bien sont-ils plus proches d’une tendance particulière ? Leur ligne de pensée est-elle proche de celle de Benoît XVI ?
Nos interlocuteurs me paraissent très fidèles aux positions du pape. Ils se situent dans ce que l’on peut appeler la ligne conservatrice, celle des partisans d’une lecture la plus traditionnelle possible du concile. Ils veulent le bien de l’Église mais en même temps sauver le concile : c’est là toute la quadrature du cercle.
Les théologiens choisis par le Vatican sont-ils thomistes ? Le sont-ils à la manière traditionnelle ?
Nous le verrons. Nous avons en tout cas affaire à un dominicain, certes, grand connaisseur de saint Thomas d’Aquin, mais aussi à un jésuite et à un membre de l’Opus Dei.
Dans les entretiens, quels seront les points de référence, en dehors de la Révélation, de l’Écriture et de la Tradition ? Le Magistère antérieur à Vatican II seulement ? Ou bien celui postérieur ?
Le problème concerne Vatican II. C’est donc à la lumière de la Tradition antérieure que nous examinerons si le magistère post-conciliaire est une rupture ou pas.
Certains craignent que nos théologiens, pris par l’atmosphère des bureaux du Vatican, baissent la garde dans leurs entretiens. Pouvez-vous les rassurer ?
Nous allons à Rome pour témoigner de la foi, et l’atmosphère des bureaux nous importe bien peu. Nos théologiens se réuniront tous les deux ou trois mois dans une grande salle du Palais du Saint-Office, pas dans des bureaux…
Concernant la durée de ces entretiens, vu la difficulté de la plupart des sujets, qui demandent au moins un ou deux ans chacun, cette durée pourra-t-elle être plus courte que cinq ou dix ans ?
J’espère qu’il n’en sera pas ainsi… en tout cas, lorsqu’on aborde avec une personne, quelle qu'elle soit, la question de la messe, de la liberté religieuse ou de l’oecuménisme, il ne faut normalement pas tout ce temps pour la convaincre !
Ne craignez-vous pas que, dans le cours de ces discussions, Rome en vienne finalement à répondre à nos objections (concernant la liberté religieuse ou la nouvelle messe) par l’argument d’autorité : Rome a décidé ainsi, or elle ne peut pas se tromper, etc. ?
On peut le craindre, bien sûr, mais dans ce cas, cela montrerait que Rome n’avait pas vraiment eu l’intention de discuter. Or le débat sur Vatican II est incontournable. Le récent livre de Mgr Gherardini, théologien romain reconnu, le prouve assez. Vatican II peut être discuté ; il doit l’être.
Ne peut-on pas craindre que ces entretiens débouchent sur des déclarations communes, dans lesquelles les parties s’entendent sur des points communs, mais sans régler les débats de fond, un peu comme pour la Déclaration commune avec les luthériens sur la justification ?
Il n’est pas question de déclarations communes.
Supposons que l’un des théologiens, côté romain, soit amené à se ranger à telle ou telle thèse traditionnelle, par exemple à juger la liberté religieuse comme non conforme à la Tradition, suite à ces entretiens. Que pourrait-il se passer ensuite ?
Ce que la Providence voudra. Nous verrons bien alors ce qu’il conviendra de faire. Nous n’y sommes pas encore.
Les fidèles ont prié le rosaire pour la reconnaissance de la messe traditionnelle et pour la levée des excommunications ; à présent ils prient pour la consécration de la Russie par le pape. Avez-vous le sentiment qu’ils prient également pour le bon aboutissement des entretiens doctrinaux ?
Cela vaut la peine de prier à cette intention, comme l’ont fait les enfants de la Croisade eucharistique au mois de janvier. De notre témoignage de foi peut découler un grand bien pour l’Église… En fait, il me semble que les objets de ces croisades du Rosaire sont imbriqués les uns dans les autres : il n’y aura pas de triomphe marial sans restauration de l’Église et donc de la messe avec l’enseignement de la foi
Recueilli par Côme Prévigny