ROME ET LES LEFEBVRISTES
De Gérard Leclerc
Salvator, 95 p., 9,90 €
Gérard Leclerc livre un résumé précis du différent théologique qui oppose Rome et les disciples de Mgr Lefebvre
Déception aux premières pages du dernier livre de Gérard Leclerc. Affaire Williamson, théorie du complot contre Benoît XVI… : poncifs trop rabâchés, s’agace-t-on. Heureusement, une lecture plus approfondie de son Rome et les lefebvristes permet de vite se rassurer. Car, en replongeant dans les débats théologiques de Vatican II, le grand mérite de ce petit livre est de souligner le différend fondamental qui oppose Benoît XVI et les intégristes, alors que viennent tout juste de s’ouvrir les discussions doctrinales entre le Saint-Siège et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X.
Ce différent, l’éditorialiste de France catholique le pose d’abord sur le plan doctrinal. L’auteur s’attarde en effet longuement sur la formation intellectuelle d’un Mgr Marcel Lefebvre totalement étranger aux développements théologiques qui ont nourri Vatican II – ce que les intégristes appellent la « théologie nouvelle ». « Il est d’une autre école, celle de la pure scolastique apprise autrefois à la Grégorienne. Il ne comprend que ce langage-là, il est intimement persuadé que tout ce qui s’en éloigne est suspect, contraire à la foi », souligne l’auteur, qui montre « l’incompréhension radicale » et « la connaissance lacunaire » de Mgr Lefebvre vis-à-vis du travail conciliaire : « Toutes les données théologiques, patristiques et même scripturaires semblent lui échapper. »
S’il reconnaît que « Marcel Lefebvre était incontestablement sincère dans son combat », Gérard Leclerc dresse avec justesse le portrait d’un homme qui s’était trompé d’époque. « Nous ne sommes plus dans la chrétienté médiévale et dans ce qui pouvait en subsister jusqu’à la Révolution française », résume l’auteur, bien conscient de la chance que le Concile a représentée, à rebours d’une opinion traditionaliste qui considère Vatican II comme la source de tous les maux de l’Église. « Si le concile Vatican II n’avait pas eu lieu, écrit-il, il n’est nullement avéré que l’Église catholique se serait mieux sortie de la révolution culturelle des années 60 ; c’est même plutôt le contraire qui est vraisemblable. À mon sens, Vatican II a armé l’Église pour répondre aux défis de société. »
À condition d’interpréter Vatican II dans le sens d’une « réforme dans la continuité », et non d’une « rupture », pour reprendre les termes mêmes de Benoît XVI. Et Gérard Leclerc, qui fut témoin des oppositions vives dans l’Église au lendemain du Concile, de montrer que les temps ont bien changé depuis « la situation de blocage » sous le pontificat de Paul VI. « L’inhibition dont les oppositions sommaires des années soixante-dix avaient été la cause est désormais levée », souligne-t-il.
En se plaçant ainsi sur le plan doctrinal, Gérard Leclerc tend à minimiser le rôle de l’Action française dans la formation intellectuelle du jeune Marcel Lefebvre (point souligné avec brio par Florian Michel dans De Mgr Lefebvre à Mgr Williamson. Anatomie d’un schisme, Lethielleux/DDB) et, partant, à minorer la dimension politique du mouvement intégriste. On pourra évidemment le déplorer. Reste que la force de ce livre est justement de souligner avec justesse le « blocage » théologique qui oppose Rome et Écône, au moment où commencent donc les discussions doctrinales. « Il n’est pas pensable qu’on discute utilement, dès lors que le préalable de la « théologie nouvelle » n’est pas levé, prévient l’auteur. C’est tout Vatican II, ainsi que le magistère ultérieur de l’Église, qui est frappé d’étrangeté, si l’on ne se décide pas à rouvrir complètement le dossier doctrinal. »
Nicolas Senèze
La Croix du 5 novembre 2009