CATHOLICISME Le retour des intégristes
Par Henri Tincq
CNRS Éditions, 63 p., 4 €
DE MGR LEFEBVRE À MGR WILLIAMSON Anatomie d'un schisme
Par Florian Michel et Bernard Sesboüé
Lethielleux/Desclée De Brouwer, 135 p., 10 €
Il était logique que la levée par Benoît XVI, le 21 janvier, de l'excommunication des quatre évêques ordonnés illicitement par Mgr Marcel Lefebvre en 1998 entraîne son flot éditorial. Dans un petit livre nerveux, Henri Tincq, ancien chroniqueur au Monde, livre son regard sur cette affaire qui défraie la chronique catholique depuis quarante ans. Sa plume alerte retrace la genèse de cette histoire, du refus de la rénovation liturgique voulue par Vatican II et, plus largement, de la vision du monde dégagée par le Concile, aux grandes étapes des discussions entre Rome et Écône. Elle s’interroge sur une «double méprise» : Benoît XVI, écrit Henri Tincq, «se trompe en pensant que ces concessions vont conduire à terme les intégristes à se repentir, à se prononcer en faveur du Concile. (…) Ils n'ont jamais cessé de prôner le retour à une Église “intransigeantiste”, anti-œcuménique et anti- moderne. » De même, les intégristes se trompent en voyant en Benoît XVI «le pape qui refermera “la parenthèse du Concile”».
Autre trait de cet excellent résumé : montrer à quel point l'intégrisme catholique est «une histoire franco-française», dont les racines idéologiques puisent aux grandes déchirures de l'histoire nationale depuis la Révolution. C'est aussi le grand intérêt de l'étude de l'historien Florian Michel qui, dans un livre cosigné avec le théologien Bernard Sesboüé, étudie avec précision le lien intrinsèque entre intégrisme catholique d'aujourd’hui et Action française d'hier. Reprise, augmentée, d'une intervention à un colloque en 2007, cette étude établit avec rigueur la filiation entre la pensée de Maurras et de Mgr Lefebvre : les lefebvristes «ont rejoué après le Concile, sur une autre base, la partie qui avait été perdue par leurs aïeux ou par leurs maîtres, dans leur jeunesse, dans un cycle non brisé de violence ecclésiale». Le lefebvrisme ? «Un “‘Mai 68” de droite, avec les mêmes ressorts, la même brèche, la même théorie d'un complot universel, la même hostile défiance, malgré tout envers l’autorité.»
La deuxième partie de l'ouvrage apporte le regard clair du jésuite Bernard Sesboüé. Reprenant un article remarqué, paru en 2007 dans Études, il décortique la théologie de Mgr Lefebvre à partir de documents de première main (comme la minute de ses entretiens, en mars 1975, avec la commission cardinalice désignée par Paul VI). «Lui qui est viscéralement antiprotestant, adopte une thèse typiquement protestante quand il se fait juge du magistère conciliaire et papal», résume le théologien.
Étudier la pensée intégriste permet à ces auteurs de s'interroger in fine sur les gestes de Benoît XVI en direction des intégristes. Pour Henri Tincq, «la frontière est de plus en plus poreuse entre les provocations intégristes» et un «néo-intransigeantisme (qui) souffle dans l'Église catholique». Un repli identitaire que le journaliste n'attribue pas au pape lui-même, mais à «des groupes influents qui agissent en son nom, qui n'ont jamais fait le deuil de l'Église autoritaire et repliée de jadis». Cette stratégie de reconquête préoccupe le P. Sesboüé : «Si les traditionalistes interprètent un acte de souplesse pastorale comme l'accès à un “bastion de la reconquête” et finalement la justification de leur désobéissance prolongée et parfois obstinée à l'Église, on peut être légitimement inquiets.»
Nicolas Senèze
La Croix du 11 juin 2009