Où en est-on entre la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X et Rome du dialogue qui a fait tant de bruit en janvier dernier ?
Nous avons exposé nos propositions début juin. Une décision du Pape doit être annoncée dans les jours qui viennent concernant la mise en œuvre des discussions. Ce que l’on sait, c’est qu’une commission sera mise en place à laquelle participeront des théologiens romains et des prêtres de chez nous.
Quel est votre but dans ce rapprochement ? Vous faire une place spéciale, ou chercher un changement fondamental de l’Eglise qui irait dans votre sens ?
C'est une bonne question : qui ou quoi doit-on changer ? Quand certains affirment que c’est toute l’Église qui doit changer, ce n’est naturellement pas juste. Nous ne sommes pas « le grand adversaire ». Je comparerais plutôt notre rôle à celui d’un thermomètre, qui indique que le corps a de la fièvre. Et donc, qu’il y a un problème qui doit être résolu. Ce n’est pas notre problème particulier, mais celui de la direction de toute l’Église. L'Église souffre d’une crise grave, mais à Rome on veut si bien la soigner, que la maladie ne se cesse de se développer sans qu’on puisse y voir de fin ! Nous proposons les mesures qui peuvent vraiment aider.
Il y a donc deux points de conflit : d'une part votre thèse, selon laquelle le noyau de la Foi serait généralement en danger, et d’autre part votre refus de documents concrets du Concile Vatican II. Rome doit-elle retirer ces documents et les modifier, ou bien s’agit-il de votre part d’un we agree to disagree (nous sommes d’accord sur le fait que nous ne sommes pas d’accord) ?
La confusion d'aujourd'hui provient en grande partie d'une crise culturelle qui atteint le monde tout entier et pas seulement l'Église – une crise de la pensée, de la philosophie. Cependant certains points de la crise ont pris dans le Concile une forme bien précise. Nous voyons même dans le Concile certains déclencheurs de la crise. Rome devrait être prête à réaliser une interprétation univoque du Concile, car les interprétations en sont jusqu’ici nombreuses. Que devons-nous exactement reconnaître ? Chaque théologien interprète les documents différemment. Le Saint Père devrait déjà condamner une interprétation du Concile, celle de la discontinuité, de la rupture. Mais 80 % des évêques et des théologiens veulent cette rupture. A cet égard, ce n’est pas nous qui sommes le problème.
Vous refusez non seulement certaines interprétations, mais aussi certains documents mêmes du Concile - concernant la liberté de religion et le respect d'autres religions.
Un exemple : La Déclaration sur la Collégialité des évêques (NDLR : document du Concile Lumen gentium) a été, pendant le Concile même, corrigée par le pape Paul VI. Le texte du Concile ne peut être interprété d’une manière catholique qu’avec l’aide d’un texte que le pape a préféré : la dite Nota praevia. (NDLR : Le pape Paul VI a tenu à ce que les évêques ne puissent diriger l’Église que « sous le commandement (du Pape) et avec le Pape » en tant qu’organe collégial). Malheureusement, certains lisent le Concile sans la Nota praevia.
Est-ce qu’il suffirait d’une Nota praevia du Pape avant ces deux déclarations contestables selon vos positions ?
Nous ne pouvons pas prétendre dicter comment et quoi penser dans l'Église. Cela n'a jamais été notre conception. Nous disons simplement ce que l'Église a toujours enseigné, tandis qu’à présent règne la confusion. Nous demandons la clarté.
L'autre grand point de dispute entre vous et Rome est le rite tridentin de la Messe. Il a été neutralisé par la réadmission de ce rite par le Pape, du moins en grande partie. Cela vous suffit-il déjà, ou bien vous attendriez-vous, là aussi, à encore plus ?
Je suis convaincu qu’il y aura plus encore. Pas de notre part, mais de la part de Rome même. La situation de la Liturgie doit être améliorée. Cela viendra.
Le pape a légèrement adapté le rite ancien, par exemple en remaniant la Prière du Vendredi Saint pour les Juifs. Priez-vous encore selon l’ancienne version ?
Nous prions selon l’ancienne.
Serait-il imaginable que vous suiviez le Pape et que vous introduisiez la nouvelle prière ?
Oui, on pourrait l’imaginer. Ce que le Pape y dit ne contredit pas la Foi. Le problème relève plutôt du contexte historique, à cause aussi de l’attachement des croyants – la Prière du Vendredi Saint est en effet l'une des prières les plus anciennes que nous ayons.
Une réconciliation avec Rome nécessiterait bien de votre part une sorte de déclaration de loyauté. Pouvez-vous la faire, même si l’Église ne revient pas au cadre d’avant Vatican II sur tous les points?
Je répondrais plutôt ceci : si les principes catholiques sont éclaircis, même si tout n’est pas encore résolu, alors oui, c’est possible. Maintenant, une question tout à fait pratique se pose clairement : Comment serons-nous acceptés ? Il y a un blocage très fort, qui nous empêche actuellement d'avancer. Si nous voyons trop d'opposition, alors nous dirons simplement : « bien, nous attendrons encore un peu ».
La « pomme de discorde » actuelle est l’ordination annoncée par la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X de trois prêtres au séminaire allemand de Zaitzkofen pour le 27 juin. Beaucoup y voient une provocation à l’égard de Rome et du Pape dont la main tendue est maintenant repoussée.
Je déplore que cela soit perçu comme une provocation. Ces ordinations ont lieu chaque année, depuis 30 ans, sous la même forme. Lorsque nous avons parlé avec Rome de l'excommunication et du reste, il n’a jamais été question que les ordinations ne devraient plus avoir lieu. Pour nous c'est une question vitale comme de respirer, nous avons besoin de ces prêtres.
Tout ne tient pas à ces trois ordinations. N’aurait-il pas été sage de les suspendre, ne serait-ce que pour améliorer le climat ?
Le problème existe seulement en Allemagne. À Rome, on trouve de la compréhension à l’égard de ces ordinations, même si l’on dit qu’elles sont illégales, qu’elles ne sont pas conformes au droit canonique. Nous avons par le passé déjà demandé à ce que l’on nous octroie un état intermédiaire, dans lequel nous pourrions parler plus paisiblement, un état dans lequel Rome pourrait aussi nous observer. Nous n'aurions d’ailleurs rien eu contre le fait que Rome dépêche un observateur. Nous l’avons proposé, mais, peut-être, pas assez clairement.
Étiez-vous étonnés, vous, que Rome n'ait posé aucune condition pour la levée de l'excommunication ?
Non, pas spécialement. Il s'agit d'un rapprochement. Qui ne peut s’opérer qu’à petits pas – au vu de toutes les blessures et de ce qui s’est passé. C’est dans ce sens que le geste du Pape, que nous recevons avec reconnaissance, était aussi conçu : un geste pour améliorer le climat. De notre côté, il y a de l’ouverture, mais en aucun cas il ne s’agit de suspendre nos activités.
Lors de la levée de l'excommunication, le Pape a souvent été comparé à l’image du père qui s’empresse vers son fils perdu, qui est revenu repentant. Y a-t-il eu de votre part cette démarche de retour, ou bien ne vous considéreriez-vous pas du tout comme des fils perdus et repentants ?
C’est le cas, nous n’entrons pas dans cette perspective, même s’il y a ouverture de notre part. Nous avons demandé ces discussions, et nos demandes ont été acceptées. Nous regrettons que certains milieux tentent de torpiller cela maintenant, avec cette agitation.
Pourquoi vous n'avez pas suspendu les ordinations ? La forte réaction des évêques allemands était pourtant à prévoir.
C’est là que l’on se rend compte qu’on a affaire à de mauvaises volontés. Quoi que nous fassions, nous sommes de toutes façons considérés comme des brebis galeuses. C'est mon impression. A un certain moment, nous disons que nous ne revenons plus en arrière. Il faut que vous le compreniez.
Vous considérez donc qu’il n’y a aucune sorte de désaveu du pape dans vos actions ?
Ce serait une interprétation inexacte des faits. Ce n'est nullement un acte hostile. J’ai écrit au Pape, et je l’ai prié de considérer ces ordinations de la façon suivante : non pas comme une rébellion, mais bien comme une voie de survie dans des circonstances difficiles et complexes.
Interprétez les ordinations comme vous voulez, le Pape ne s’en trouve pas moins dans une situation désagréable.
Je le comprends bien. Cette situation est très désagréable pour tous. Encore une fois : ce problème provient des différents courants au sein de l’Église, qui se supportent à peine mutuellement. En fin de compte, ce problème ne peut être résolu que par le Pape. Et encore, je ne suis même pas sûr, qu’il puisse vraiment être résolu.
Que fait maintenant Mgr Williamson ?
Il est à Londres. Il prie, il étudie, rien d'autre.
Peut-on envisager une fin à cet exil intérieur ?
Je n’en voie pas. Tout dépend de lui.
Il faudrait peut-être bien qu’il prenne très nettement ses distances par rapport à ses déclarations négationnistes de l’Holocauste.
Si de telles déclarations se renouvelaient, la situation serait intenable.
Propos recueuillis par Michael Prüller (Traduction La Porte latine)