La décision de Benoît XVI de lever l’excommunication des quatre évêques schismatiques ordonnés par Mgr Marcel Lefebvre et les déclarations négationnistes de l’un d’entre eux ont provoqué un scandale considérable qui a remis l’Eglise catholique sur le devant de la scène. Pendant près de vingt-cinq ans, Henri Tincq a commenté l’actualité religieuse pour le quotidien Le Monde. Avec Les Catholiques, l’essentiel de ce que l’on doit savoir sur cette religion, ses rites, son histoire, ses rouages, sa doctrine, ses pratiquants est abordé dans un copieux volume : il résulte d’un remarquable travail de synthèse et de vulgarisation, fort bien abouti. L’auteur ne cède pas à la facilité des simplifications.
On regrette cependant sa présentation de la diversité des sensibilités catholiques sous la forme d’un jeu de sept familles : un paroissien de gauche aimant le chant grégorien ou la messe en latin — il y en a plus d’un ! — appartient-il à la « famille traditionaliste » ? Une ouaille de droite favorable au mariage des prêtres est-elle « rebelle » pour autant ? Les catholiques n’échappent pas au phénomène d’autolégitimation individuelle des choix et des comportements. Tenter de les faire rentrer dans des tiroirs se révèle hasardeux.
Avec l’allant du reporter, Tincq fait un portrait grandeur nature et vivant du milliard de catholiques recensé au début de ce troisième millénaire. Le journaliste, qui a souvent couvert les voyages intercontinentaux du pape Jean-Paul II (1978-2005), décrit les visages contrastés d’une Eglise en train de traverser une révolution culturelle sans précédent. Il indique à juste titre que le centre de gravité du catholicisme n’est plus Rome, ni l’Europe, mais l’Amérique latine et l’hémisphère Sud. Tincq a choisi une approche résolument narrative, mais il ne s’interdit pas d’émettre un avis sur tel ou tel aspect. Il déplore ainsi le conservatisme doctrinal et clérical qui a supplanté la dynamique d’ouverture lancée par le concile Vatican II (1962-1965). Mais le chroniqueur religieux du Monde ne cache pas non plus son admiration pour l’inventivité des communautés chrétiennes face à un environnement culturel pluraliste et sécularisé. L’auteur porte finalement un regard optimiste sur l’avenir du catholicisme ; sous réserve que celui-ci sache tirer avantage de sa diversité pour réinjecter de l’universel dans un monde mondialisé, en proie au tribalisme et au mercantilisme.
Monique Hébrard, quant à elle, consacre son dernier livre à la situation du clergé en France. Par son exploration des communautés charismatiques, de la place des femmes et des laïques dans l’Eglise, elle s’est taillé une réputation, méritée, d’enquêtrice chevronnée. Dans Prêtres, elle a interrogé de façon originale une cinquantaine de ministres du culte sur les vingt mille cinq cent vingt-trois en fonction en France (chiffres de 2006). Sans tabou, ces hommes de générations et de sensibilités différentes évoquent leurs motivations, leurs engagements, leur sexualité et les inquiétudes, mais aussi les initiatives, que leur inspire la panne des vocations... Cette enquête révèle une réalité ecclésiastique plus complexe, plus attachante aussi, que l’on pouvait penser. Ces prêtres, habillés avec col romain ou comme M. Tout-le-Monde, ne se résignent pas à être « les derniers des Mohicans » !
Il y a vingt ans, Jean-Paul II excommuniait Mgr Lefebvre. Il y a un an, Benoît XVI élargissait les possibilités de dire la messe en latin, escomptant ainsi rallier sous sa calotte blanche le restant des traditionalistes en sédition. L’ouvrage de Nicolas Senèze aide à revisiter cette histoire et à comprendre l’évolution récente du Vatican. L’auteur souligne que la pierre d’achoppement entre les traditionalistes et Rome n’est pas la messe tridentine (dite « de saint Pie V ») mais la doctrine proclamée par le concile Vatican II, notamment sur la liberté religieuse, l’œcuménisme et la collégialité épiscopale. Les difficultés rencontrées par Benoît XVI pour mettre un terme au schisme créé par son aile traditionaliste semblent accréditer la thèse centrale de ce livre rigoureux et instructif.
Michel Cool