Votre discours à Syracuse le 8 février était intitulé : « Mgr Lefebvre, le sacerdoce et le règne social du Christ ». Quelle est la signification de ce titre ?
J'ai voulu expliquer, selon le P. Le Floch, qui était le professeur de Marcel Lefebvre au Séminaire français à Rome, et selon Mgr Lefebvre, que le sacerdoce renferme non seulement la sanctification des âmes, mais également le baptême des nations. L'intégrité du sacerdoce mène à la conversion des nations de sorte que la société civile se soumette à Notre Seigneur Jésus-Christ. C'est le but suprême du sacerdoce.
Dans ce discours, vous aviez mentionné que les séminaristes ordonnés au Séminaire français sous l’abbé Le Floch ont élaboré un plan en trois points pour exposer la façon dont une révolution procède. Pourriez-vous les énumérer ?
J'ai suivi ce que le P. Fahey a expliqué à des professeurs du Séminaire français. Ils décrivent les trois étapes de la révolution.
Première étape de la révolution : L'élimination dans le gouvernement du Christ-Roi par la laïcisation ou la sécularisation de l'Etat. Par cette laïcisation, il s’en suit que le Droit Civil ne sera plus soumis à l'Evangile ; et que la religion catholique ne sera plus reconnue publiquement par l'Etat. Selon ce principe révolutionnaire, l'Etat ne peut pas déterminer la vérité en matière de religion.
Deuxième étape de la révolution : la suppression de la Sainte Messe. La Franc-maçonnerie a voulu faire ceci à la fin de la XIXme et au début du XXme siècle avec la séparation de l'Église et État. Ils espéraient ainsi que les chrétiens perdraient la foi et abandonneraient l'Église et que la Sainte Messe ne serait plus célébrée.
Troisième étape de la révolution : Faire perdre la vie divine du
Christ dans les âmes, de sorte qu’elles ne vivent plus en état de
grâce. Faire des âmes païennes, faire des âmes laïcisées.
Comment voyez-vous Vatican II et ses réformes à la lumière de ce plan en trois points ?
Avec Vatican II, ces trois points ont été effectivement acceptés par l'Église.
D'abord, la destruction de l'État catholique par la déclaration sur la liberté religieuse ; la séparation de l'Église et de l'Etat ; l'Etat ne peut pas donner de verdict de vérité en matière de religion. C’est ce que le cardinal Ratzinger a expliqué à Mgr Lefebvre dans son entrevue du 14 juillet 1987 ; que l'Etat ne peut pas savoir ce qu'est la vraie religion.
En second lieu, la suppression de la Sainte Messe. Ceci s'est produit après Vatican II avec la nouvelle messe. Cette nouvelle masse n'exprime pas le sacrifice de propitiation. En revanche, elle exprime plus une offrande des personnes de Dieu, mais pas un sacrifice célébré par le prêtre afin d’expier nos péchés. Ce deuxième point a été réalisé par la réforme liturgique.
Troisièmement, la laïcisation des âmes. C'est pratiquement la
situation aujourd'hui parce presque plus personne ne va se confesser. La plupart des catholiques ne vont plus à la confession. Le
sacrement de pénitence a été pratiquement supprimé avec la soi-disant
absolution collective. Maintenant Rome veut retourner à des confessions
individuelles, mais je suis sûr que de nombreux évêques n'acceptent pas
parce que beaucoup de prêtres ne veulent pas entendre des confessions.
Pourtant il y a quand même un bon nombre de prêtres qui veulent entendre des confessions.
Oui, mais généralement les prêtres modernes n'aiment pas
entendre les confessions, et n'encouragent pas la confession. Le péché,
le péché originel, le besoin de confession, et la satisfaction pour que
le péché ne soit plus entendu. Statistiquement, il y a peu de
confessions dans les paroisses. Le résultat est que la majorité de
catholiques qui peuvent encore avoir la foi ne peuvent pas vivre en
état de grâce. Soyons réalistes, le monde est si corrompu, qu’il est
impossible de vivre en état de grâce sans le sacrement de pénitence.
Vous avez noté que Mgr Lefebvre a vu que la réponse à la crise de la foi d'aujourd'hui cnsistait à inverser ces trois points. Pouvez-vous expliquer ?
Oui, vous prenez le plan de la révolution mais vous l’inversez.
D'abord, célébrer la sainte messe de nouveau pour la foi, de sorte qu'on reçoive les grâces venant du sacrifice de la croix - à travers la vraie messe. Est c’est ce que nous faisons avec notre foi. Nous voyons les fruits de la sanctification. Nous voyons beaucoup de familles avec beaucoup d'enfants, et beaucoup de vocations.
En second lieu, au moyen de la messe et des sacrements traditionnels, faire que les âmes vivent en état de grâce. C’est la situation de nos fidèles. Je pense que la plupart d'entre eux vivent en état de grâce. Ils viennent régulièrement à la confession afin d'augmenter la grâce sanctifiante ou la récupérer s'ils ont le déplaisir de la perdre. Ils vivent en état de grâce. Les enfants vivent en état de grâce. On enseigne aux enfants à lutter contre les occasions de pécher.
Troisièmement, avec ce groupe de catholiques vivant en état
de grâce, agir pour que Notre Seigneur Jésus-Christ retrouve sa place
dans la société, afin de lui restituer sa couronne. Ils font ceci dans
leurs familles, dans nos établissements catholiques, petit-à-petit,
dans leurs travail, dans leurs professions, pour que leur profession se
retrouvent en harmonie avec la loi de Jésus-Christ, pour être de bons exemples
parmi leurs collègues ; tout ceci finalement pour la
re-christianisation de la société civile.
Dans votre intervention, vous avez parlé de la notion moderne
du « personnalisme » comme erreur philosophique de Vatican II qui a
corrompu la doctrine de l'Église.
Cette erreur a imprégné la soi-disant déclaration sur la liberté religieuse, dire que chacun a le droit de ne pas être empêché d'adorer la divinité de son choix vient directement du personnalisme.
La définition vraie de la personne humaine a été donnée par Boèce : une substance individuelle d'une nature raisonnable. Le thomiste insiste sur « la nature raisonnable », parce que l'homme a un intellect qui est fait pour découvrir, pour saisir la vérité ; et pour tenir la vérité. Ainsi la finalité de l'intelligence est de savoir la vérité, parce que la vérité est l'objet de l'intelligence. Ainsi la perfection de la personne humaine consiste à posséder la vérité.
Mais maintenant, les nouveaux « personnalistes » prennent la même définition de la personne humaine, mais la soumette plutôt comme « substance individuelle ». La personne consiste à être un « individu », ainsi elle doit avoir des droits selon son individualité. C'est-à-dire, avoir la liberté sans considération de la vérité. En contraignant « la substance individuelle », la personne humaine a le droit d'un « individu », selon ses propres principes, ses propres choix, sans considération de la vérité. La possession de la vérité n'est pas essentielle dans la nouvelle définition.
C'était l'enseignement de Jacques Maritain en France, qui fut thomiste, mais qui se convertit au « personnalisme ». Il a eu une grande influence sur le pape Paul VI et sur Vatican II.
Le personnalisme insiste sur le fait que l'individu doit être libre, doit être indépendant, doit choisir par lui-même. En cela consiste « la dignité humaine ». Et ceci a été condamné par pape saint Pie X dans sa Lettre aux évêques français contre le Sillon.
Pouvez vous commenter ce que vous avez dit dans votre intervention : l'Église ne peut pas garder la vérité sans combattre l’erreur ?
L'histoire entière de l'Église démontre ce principe. Dés les
premiers siècles, les Pères de l’Église passaient leur temps à
combattre les hérésies et condamner les hérétiques. Le Concile de
Nicée, le Concile d'Ephèse, sont des démonstrations de cette vérité. Le
Concile de Trente fut un splendide concile parce qu'il a condamné le
protestantisme. Jamais l'Eglise ne mit en si grande lumière ses propres
principes qu'en luttant contre des hérésies. Ainsi aujourd'hui l'Église
doit condamner les faux principes afin de mettre en lumière ses propres
principes, principes révélés. C'est une nécessité. L'église ne peut pas
enseigner la vérité sans combattre les erreurs. C'est le chemin
providentiel établi par le Bon Dieu pour le magistère de l'Église.
Diriez-vous que la nouvelle orientation dU « dialogue » est un faux principe pour condamner l’erreur ?
Oui, sous le prétexte de la « charité ». Saint Augustin indique
aimons les pécheurs, mais combattons les erreurs. Mais maintenant c’est
plutôt « aimons les erreurs, respectons toutes ces erreurs ! ». Puisque
l'erreur est toujours professée par des personnes, ainsi si nous
respectons les personnes, nous devons respecter leurs erreurs. C'est du
subjectivisme.
À la lumière de l’enseignement de la vérité et de la résistance aux erreurs, que pouvez-vous nous dire au sujet des discussions doctrinales prochaines entre la FSSPX et Rome ?
En accordant le décret du 21 janvier, le pape Benoît XVI, s'est déclaré ouvert à ces discussions, et je pense qu’elles commenceront
rapidement.
La FSSPX, est formée dans le magistère catholique éternel pour les siècles ; formé en accord avec le Syllabus de Pie IX et le Syllabus contre le modernisme du pape saint Pie X. Les ecclésiastiques modernes avec qui vous aurez ces discussions doctrinales sont des hommes qui pour la plupart ont été formés dans la continuité de Vatican II ; et dans le nouveau anti-anti-Modernisme du Concile. Pouvons-nous spéculer sur la rencontre des esprits dans les discussions prochaines ?
Notre intention est de les mettre devant la contradiction entre
leurs doctrines et les doctrines traditionnelles. Nous voulons leur
montrer qu'il y a une vraie contradiction.
Comment ces discussions procéderont-elles ?
Nous avons l'intention de nous engager dans une discussion
écrite. Nous écrirons nos objections et ils répondront. Peut-être vers
la fin il pourra y avoir également des discussions tête à tête.
Au cours de ces discussions, voyez-vous la langue comme problème potentiel ? Par exemple, des mots tels que la « continuité » et la « Tradition » sont définis différemment par les autorités catholiques traditionnelles et par celles, actuelles, du Vatican.
Il est difficile de discuter avec des personnes qui emploient la
même langue mais ne donnent pas la même signification pour les mêmes
mots. Ainsi nous essayerons de comprendre leur philosophie et de leur
parler dans les termes de leur propre fausse philosophie. Quand nous
parlons de la « Tradition » nous parlons avec eux de telle façon qu’ils
comprennent ; non pour accepter leur nouvelle définition, mais afin de
comprendre comment ils s’en arrangent.
En 1988, l’accord était supposé être un protocole original entre Rome et le FSPX : 1) que la FSPX obtiennent son propre évêque ; 2) qu'elle ait une majorité dans la commission du Vatican ; 3) que la FSPX ait une autonomie par rapport aux évêques diocésains. Le FSSPX insistera-t-elle toujours sur ces derniers points quand le temps viendra de parler d'une juridiction pour la FSSPX ?
Oui, et c’est ce que Rome est disposé à donner. Le cardinal
Castrillon a déjà fait part de ces dispositions à certains, cependant
il est peu probable que la FSSPX ait la majorité dans la Commission
Ecclesia Dei. En ce qui concerne l'indépendance vis-à-vis des évêques
diocésains, il est évident que Rome est prêt à nous donner une
structure qui nous donne une certaine indépendance, ce qui est possible
en vertu de la loi. Je devrais noter que nous ne pouvons pas rechercher
rapidement une régularisation. Les discussions doctrinales dureront
longtemps.
Une des raisons pour lesquelles je vous interroge sur l'autonomie vis-à-vis des évêques diocésains est due à un rapport récent de Mgr Müller, évêque de Ratisbonne (Allemagne). Mgr Müller a dit que si la FSPX est régularisée, elle doit également « accepter que le séminaire de Zaitzkofen tombe sous la surveillance du diocèse de Ratisbonne. Le séminaire devrait être fermé et les étudiants devraient aller aux séminaires dans leurs pays d'origine - s'ils conviennent à cette fin. »
Nous devons avoir une structure juridique qui nous protège contre une telle entreprise de destruction de la part des évêques.
Si le FSPX est régularisée, qui conferrerait les ordinations et les confirmations ?
Nos propres évêques. Cela serait contenu dans les documents finaux.
Mais je dois faire remarquer que cette solution juridique finale ne se
produira pas si Rome ne fait pas une vraie conversion, parce qu'il
serait impossible d'obtenir une telle chose si Rome ne se convertit
pas. Il ne serait pas possible de vivre une telle régularisation sans
la conversion de Rome. Je l’ai dit dans une interview avec La Stampa à
Rome, et on a considéré que c’était un scandale. Certains ont dit : «
Cet évêque est ridicule ! Quelle prétention de convertir Rome ! » Mais
c'est notre intention. C'est clair. Quand nous discuterons avec ces
personnes, c’est pour les convertir.
Puisque vous avez entamé ce sujet, je vous demanderai : pensez-vous que les représentants de Rome entameront également ces discussions avec la même intention : convertir la FSSPX sur le plus de points possibles ? Pour vous inciter « à voir la lumière », ou au moins « sentir sa chaleur » ?
Oui, c'est vrai.
Que dites-vous du fait que Mgr Lefebvre a signé tous les documents de Vatican II, ce qui signifie, selon certains, qu'il n'a vu aucun problème avec le Concile dans son entier ?
J'ai démontré dans ma biographie de Mgr Lefebvre - dans les chapitres sur le Concile - que Monseigneur a jugé qu'alors il ne pouvait pas refuser une décision d'un Concile Général sans se séparer de l'Eglise. La grande majorité des évêques a signé les documents. Mgr de Castro Meyer a signé tous les documents du Concile. C'était une décision collégiale, et dans une décision collégiale, même si vous n'êtes pas d'accord avec la décision, vous devez la signer. Par exemple, dans le décret de la nullité du mariage, il peut y avoir décision de trois ou cinq juges. Si un juge n’est pas d’accord, il signera le décret de toute façon parce que la décision est prise à la majorité. C’est la même chose avec un Concile Général. Cela ne signifie pas que Mgr Lefebvre a accepté toutes les décisions du Concile. Par exemple, il a voté à la fin contre le document sur la liberté religieuse, et a continué à s'opposer publiquement à la liberté religieuse jusqu'à sa mort en 1991.
Plutôt que lire Vatican II à la lumière de la Tradition, nous devons
réellement lire et interpréter Vatican II à la lumière de la nouvelle
philosophie. Nous devons lire et comprendre le Concile dans sa vraie
signification, c'est-à-dire selon la nouvelle philosophie. Puisque tous
ces théologiens qui ont produit les textes de Vatican II étaient
imprégnés de la nouvelle philosophie. Nous devons le lire de cette
façon, non pas pour l'accepter, mais pour le comprendre comme les
théologiens modernes qui ont rédigé les documents les comprennent. Lire
Vatican II à la lumière de la Tradition n'est pas le lire correctement.
C’est tordre les textes. Je ne veux pas tordre les textes.
Vous avez été avec Mgr Lefebvre dés le commencement en
1969. Vous étiez avec Mgr Lefebvre dans les trois grandes
étapes de la FSPX dans ses discussions avec Rome : le retrait de la
permission du séminaire d’Econe en 1975, la suspens en 1976, et
l'impasse qui le fit abandonner le Vatican pour les consécrations
épiscopales en 1988. En quoi la situation actuelle en 2009 est-elle
comparable avec les discussions précédentes ?
Je pense qu'il n'y a rien de changé par rapport à cela. Finalement, ils veulent nous ramener à Vatican II. Pour nous inciter à l’accepter. La levée des excommunications n'a pas changé ce problème profond de la foi. Elle a changé quelque chose pour les catholiques qui ne comprennent pas notre combat, qui voient maintenant que nous ne sommes pas excommuniés, c’est bon de cette manière pour l’Eglise.
Recueilli par John Vennari