Samedi 29 novembre 2008 - Église Notre-Dame de Grâce de Passy
L’Église dans 10 ans ? Un sujet difficile. Dix ans, c’est peu à l’aune de presque 2000 ans de christianisme. Mais c’est aussi beaucoup à l’aune d’un pape qui a plus de 81 ans ! Alors, que donnera, d’ici 10 ans, cette tentative de réconciliation qu’a été le motu proprio Summorum Pontificum ?
Avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, ne rêvons pas : même s’il ne faut jamais cesser d’espérer, je ne pense pas qu’il y ait quoique ce soit à attendre de ses responsables. Benoît XVI lui-même le sait et c’est en direction des fidèles qu’il a voulu poser un acte de réconciliation (C’est ce qui ressort clairement de la lettre aux évêques qui accompagnait le motu proprio). Des fidèles qui ont pu, légitimement, être choqués par ce qui a pu se passer en certains endroits de l’Église dans les années 1970.
Mais ce motu proprio aura-t-il l’effet attendu, c’est-à-dire la réconciliation interne de l’Église ? Sans doute, oui. À condition, toutefois, d’éviter un écueil principal, que le motu proprio porte lui-même en germe : l’accroissement du subjectivisme et de l’individualisme dans l’Église, au détriment de la communion.
En effet, la tendance actuelle de l’Église – comme à toute période de crise – est d’abandonner son mode de fonctionnement territorial (fondé sur le diocèse et la paroisse) pour un fonctionnement réticulaire (On se reportera ici à la très intéressante conférence de Henri Chamussy, Les stratégies spatiales de l’Église catholique, prononcée lors de l’édition 2002 du festival international de géographie de Saint-Dié). Ce phénomène prend d’autant plus d’ampleur que la société elle-même fonctionne aujourd’hui de cette manière, privilégiant le réseau d’affinités à la communauté. Il en résulte ce que nous pouvons tous constater : une montée de l’individualisme et du subjectivisme.
L’Église elle-même n’est pas à l’abri. Non que le fonctionnement en réseau soit mauvais en soi – il suffit de regarder ce que les ordres religieux ont pu lui apporter à diverses périodes de son histoire ! – mais il peut être risqué. Le cardinal Joseph Ratzinger en avait conscience quand, en juillet 2001, lors des Journées liturgiques de Fontgombault, il évoquait les difficultés d’un libre choix entre ancien et nouveau Missel :
« Il y a un problème très réel : si l’ecclésialité devient une question de choix libre, s’il y a dans l’Église des églises rituelles choisies selon un critère de subjectivité, cela crée un problème. L’Église est construite sur les évêques, selon la succession des Apôtres, dans la forme des Églises locales, donc avec un critère objectif. Je suis dans cette Église locale et je ne cherche pas mes amis, je trouve mes frères et mes sœurs ; et les frères et les sœurs, on ne les cherche pas, on les trouve. Cette situation de non arbitrarité de l’Église dans laquelle je me trouve, qui n’est pas une église de mon choix mais l’Église qui se présente à moi, est un principe très important. (…) Ce n’est pas mon choix, comme si j’allais avec tel groupe d’amis ou avec tel autre ; je suis dans l’Église commune, avec les pauvres, avec les riches, avec les personnes sympathiques et non sympathiques, avec les intellectuels et les stupides ; je suis dans l’Église qui me précède. Ouvrir maintenant la possibilité de choisir son Église “à la carte”, cela pourrait réellement blesser la structure de l’Église. »
Summorum Pontificum a bien tenté de résoudre cette quadrature du cercle en considérant la forme ordinaire et la forme extraordinaire comme « deux mises en œuvre de l’unique rite romain ». Mais force est de constater que cette distinction, un peu artificielle, introduit un biritualisme de fait dans l’Église latine. Cela n’est pas forcément la faute du pape lui-même.
Il y a ceux qui refusent, de fait sinon par principe, de célébrer dans la forme ordinaire du rite romain. Et il y a ceux qui ont fait de la forme extraordinaire le drapeau de revendications théologico-politiques qui se traduit, non plus par une lecture critique, mais par un refus du concile Vatican II. Même quand celui-ci est lu comme une « continuité » de la Tradition de l’Église, ainsi que Benoît XVI l’expliquait le 22 décembre 2005 aux membres de la Curie. Par conséquent, l’eucharistie qui devrait être le lieu de la communion, cesse de l’être.
Alors quelle solution ? Là encore, tournons-nous vers Benoît XVI qui, toujours dans la lettre qui accompagne le motu proprio, souligne que « les deux formes d’usage du rite romain peuvent s’enrichir réciproquement ». C’est sans aucun doute la solution.
Néanmoins, si je vois bien, actuellement, l’enrichissement en cours du Missel de Paul VI par l’ancien Missel, je ne vois pas grand chose qui aille vers l’enrichissement du Missel de Jean XXIII par celui de Paul VI !
La conséquence de cet état de fait pourrait bien être, à terme, désastreuse, renforçant ce que j’appelle le « schisme silencieux » . C’est-à-dire le départ subreptice de l’Église de tous ceux qui sont déçus par une Église qu’ils perçoivent comme en repli sur des questions intérieures et identitaires, plutôt qu’ouverte à la mission. Une Église où on ne rencontre plus Jésus-Christ. Une Église qui ne rencontre plus le monde contemporain, une Église qui ne l’interpelle plus. Une Église qui n’est plus crédible. Ceux-là s’en vont sur la pointe, sans bruit, sans ordonner d’évêques illicitement, sas insulter ni le pape ni les évêques. Mais, ne nous y trompons pas, ce schisme est numériquement beaucoup plus important que celui de 1988 !