Nicolas Senèze s’est donné le tort de faire ce qu’il appelle pourtant « trop focaliser le débat sur la question intégriste » (p. 186).
En effet, pourquoi son livre est-il sur « la crise intégriste » et non pas sur « la crise moderniste » ?
Il s’aperçoit pourtant qu’après saint Pie X « la crise moderniste continuera à travailler l’Eglise pendant de longues années ». Pendant de longues années ? Il aurait pu préciser : jusqu'à maintenant.
« Ce terme de “modernisme” visait un ensemble de tendances assez disparates, mais qui avaient en commun de vouloir combler le fossé séparant l’enseignement traditionnel de l’Eglise et les jeunes sciences nées en dehors d’elle, notamment l’exégèse critique. »
Si c’est simplement cela le modernisme, nous sommes tous des modernistes. Personne ne rêve d‘élargir ni même de maintenir le « fossé ».
Mais aussitôt, sans avoir l’air d’y toucher, Nicolas Senèze amorce sa bombe :
« Il s’agit de combler le retard pris par l’Eglise, notamment dans le domaine biblique et doctrinal, en acceptant les exigences des sciences profanes. »
Ainsi ce qui n‘était qu’un « fossé » (évident) devient, comme allant de soi, un « retard » ; et « pris par l’Eglise » ; et ce retard est notamment dans le domaine « doctrinal » !
Nous sommes là au cœur de la crise moderniste d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui : c’est le monde profane qui enseigne, et c’est l’Eglise qui doit accepter les exigences d’un tel enseignement.
Dans un tel contexte, l’« intégrisme » n’est pas une doctrine particulière. A l’origine, le terme est un sobriquet caricatural inventé pour (dis)qualifier les catholiques qui suivaient saint Pie X dans sa lutte contre le modernisme, – et finalement le sobriquet est appliqué à saint Pie X lui même. « Intégristes » parce qu’ils se veulent intégralement catholiques, dans la vie publique comme dans la vie privée. L’anti-intégrisme systématique les présentera comme des agresseurs, des fauteurs de désordres, des perturbateurs de l’unité ecclésiale. Or c’est exactement l’inverse : c’est le modernisme l’agresseur. Les surnommés « intégristes » ne font jamais que défendre leur droit à exister dans l’Eglise et à y professer intégralement la foi de l’Eglise. Que cette légitime défense ait pu être excessive ou trop violente, c’est une autre question, qui n’enlève rien à sa foncière légitimité.
Exemple lamentable d’agression, Nicolas Senèze, qui vaut mieux que cela, s’abaisse néanmoins à citer sans dégoût, comme une autorité, le triste Ternisien, pour faire de Maurras une sorte d’ennemi public. On sait bien que la plus grande partie du clergé français, quand il a été formé en France, n’arrête toujours pas de fulminer contre le « maurrassisme » en ignorant volontairement que l’injuste condamnation de Pie XI a été levée par Pie XII en 1939. On reconnaît là quelle trace profonde a laissée dans l’Eglise la hargne militante du cardinal Lustiger contre ce qu’il osait nommer « le paganisme le plus cynique et plus dangereux » !
Personne n’est parfait, il serait étonnant que l’on n’ait pas quelque souci à se faire du côté perfidement surnommé « intégriste ». Mais souci combien secondaire par rapport à la gravité de la crise moderniste traversée aujourd’hui encore, aujourd’hui plus que jamais par le catholicisme. Il y a jusqu'à des évêques pour mettre en doute que l’Eglise soit la seule à détenir la vérité religieuse intégrale, et pour considérer comme un simple symbole la présence réelle de Jésus dans l’eucharistie. Il y a jusqu'à L’Osservatore romano du 29 juin dernier, selon la revue Catholica, pour assurer que saint Luc a meublé les Actes des Apôtres avec des affabulations populaires. Il y a le sentiment, qui s‘étend parmi les fidèles eux-mêmes, qu’en définitive toutes les religions se valent, l’important étant d’y croire. La crise est majeure. Elle n’a pas reculé. Elle bat son plein. Elle n’est pas intégriste. Elle est moderniste, et de plus en plus à visage découvert !
Jean Madiran