« Intégrisme », on le sait, est artificiellement devenu dans l’Eglise un terme péjoratif, injurieux, et surtout discriminatoire, vaguement synonyme de sectaire, de rétrograde hargneux, d’infréquentable.
L’anti-intégrisme est systématique (et borné) quand il attribue une intention inavouable à toute argumentation, attitude, parole des supposés « intégristes » ou « intégrisants », qui constituent une sorte d’ennemis publics automatiquement disqualifiés d’avance.
Mais pour aller librement plus avant, il nous faut d’abord déblayer l’insupportable contre-vérité qui abîme la page 83 de Nicolas Senèze.
Il y reprend en effet l’histoire de la lettre écrite à Dom Lafond, le 17 février 1970, par le cardinal Ottaviani, où celui-ci renie le Bref examen critique et, entre autres anomalies, assure qu’il n’a jamais permis à personne de publier la lettre-préface, co-signée par le cardinal Bacci, qui présentait ce Bref examen au Souverain Pontife.
La lettre à Dom Lafond existe bien. Mais elle n’est pas authentique. Elle est une fabrication, d’ailleurs maladroite, elle multiplie les invraisemblances et les énormités, la démonstration publique en a été faite dès le mois d’avril 1970 (Itinéraires, supplément au numéro 142) et n’a jamais été contestée.
Déjà la formulation de la lettre-préface montre qu’il ne s’agit nullement d’un avis donné en secret par un membre du conseil du Pape, mais bien d’une réclamation comme peut en faire tout « sujet de la loi », c’est-à-dire n’importe quel baptisé.
Et puis, il y a eu les témoins. Sans doute, Cristina Campo est morte. Et Renato Pozzi. Et Guérard des Lauriers. Et l’abbé Dulac. Et Louis Salleron. Et Eric de Saventhem.
Mais il en reste encore un.
Pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’un malentendu, dès qu‘à partir de mars 1970 fut publiée dans la presse la prétendue lettre à Dom Lafond, je me suis personnellement assuré auprès du cardinal Ottaviani lui-même que la très large autorisation donnée à l’abbé Dulac était authentique, réelle, non révoquée, et que nous n’en avions pas fait un usage abusif. J’en ai porté et au besoin j’en réitère ici le témoignage public.
Ce témoignage, Christophe Geffroy l’appelle une « thèse » dans son Benoît XVI et « la paix liturgique » (p. 127-128) ; il n’exclut pas son éventuelle exactitude. Il reste cependant dubitatif, c’est son droit, observant que « le cardinal [Ottaviani], mort en 1979, n’a jamais publiquement contesté cette lettre et n’est pas intervenu dans la polémique ». Mais justement : après ce qu’il en avait dit à l’abbé Dulac, à Louis Salleron, à moi-même, et après la mise au point en douze pages de la revue Itinéraires, le Cardinal estimait l’affaire réglée.
Elle l'était en effet, et le resta jusqu’en 2007, où Mgr Rifan, aux pages 65 et 66 de son livre Tradition et magistère vivant, s’avise témérairement de ressortir la lettre à Dom Lafond comme si elle était d’une authenticité incontestée. Je ne prétends obliger personne à me croire sur parole ni à s’incliner devant mes arguments. Mais quand on mentionne la lettre à Dom Lafond, on n’a pas, me semble-t-il, le droit de cacher que son authenticité est contestée, même si l’on reste dubitatif devant une telle contestation. C’est le bon exemple donné par Christophe Geffroy. Bien sûr, Mgr Rifan est un brave homme, je ne veux pas omettre de supposer qu’il a été trompé, et Nicolas Senèze de même. Mais je suppose aussi que les voilà détrompés.
Jean Madiran