Source : La Croix
Quelle est la portée très concrète de cet accord ?
Ce qui est accordé est un usage exclusif du rite de la messe en vigueur en 1962. Cela concerne aussi bien le missel que le rituel ou le bréviaire.
« Exclusif » signifie-t-il que ces prêtres peuvent refuser de célébrer dans le rite de Paul VI ?
Oui, puisque l'usage de leur rite est exclusif.
Est-ce à dire qu'ils peuvent refuser de se joindre par exemple à la messe chrismale, qui réunit tous les prêtres d'un diocèse autour de leur évêque pendant la Semaine sainte ?
Cela leur permet effectivement de répondre « non » à des demandes de concélébrations. Mais ils risquent, hélas, de ne pas être seuls... Après les élections récentes à la Fraternité Saint-Pierre, il me semble que la possibilité de concélébrer lors de la messe chrismale risque aussi d'être fermée pour ces prêtres par leur supérieur.
Comment allez-vous gérer ces contradictions ?
D'un côté, il faut accepter la décision du pape lui-même, c'est lui qui l'a voulu. Il a voulu faire un geste vis-à-vis de ceux qui ont suivi Mgr Lefebvre, pour leur montrer qu'ils pouvaient avoir une place dans l'Église. D'un autre côté, il faudra être très au clair par rapport au Concile et à l'héritage conciliaire. Je souhaite que puisse être réaffirmé - même s'il y a eu quelques dérives ou quelques abus - l'aspect extrêmement positif vécu par l'Église depuis le Concile. Cette Église qui a mis en œuvre le Concile est mon Église. C'est l'Église dans laquelle j'ai fait mes études, où j'ai été ordonné prêtre, évêque. Cette Église qui m'a donné une grande joie !
La célébration liturgique sortie des textes du Concile est vraiment vécue dans la prière, dans le sens de l'approche du Christ et pas du tout de façon horizontaliste comme on peut parfois le reprocher. Il faut rendre honneur à ces prêtres qui ont été les bons pasteurs depuis le Concile et qui ont fait un très bon travail. Je ne souhaiterais pas qu'un accueil de fidèles traditionalistes soit pensé, soit vécu comme un reniement du Concile. Comme si les grandes intuitions du Concile qui ont alimenté, qui alimentent aujourd'hui avec mon presbytérium, notre travail pastoral, soient remises en question.
Pourquoi prévoir, dans les textes de l'accord, un accueil « critique » du Concile ?
Qu'il puisse y avoir sur tel ou tel point un questionnement, je suis tout à fait d'accord, mais il ne faut pas que l'arbre nous cache la forêt. Une reformulation ou une réorganisation de la vie ecclésiale ne signifie nullement que l'on remette en question l'événement spirituel que l'Église a vécu au Concile et qui a fait vivre le peuple de Dieu depuis une quarantaine d'années.
Croyez-vous qu'une réconciliation puisse avoir lieu ?
Je l'espère ! Si chacun émet le désir de mieux comprendre l'autre, s'il y a cet effort, il me semble qu'une réconciliation peut se mettre en marche. Mais c'est une affaire spirituelle. Il ne suffit pas qu'un décret soit posé pour que tous les problèmes soient résolus. Le vrai problème est celui des relations fraternelles. Vous aviez deux maisons qui étaient côte à côte et qui s'excommuniaient, elles sont appelées à vivre dans la même maison. Il n'est pas facile d'accueillir de nouveaux venus. Ils doivent se rendre compte qu'ils ne sont pas en pays conquis, et qu'ils s'insèrent dans une habitation où il y a d'autres occupants. Il faut que l'on apprenne à vivre ensemble, même si on vit à des étages différents.
Cet acte a-t-il une portée historique ?
On ne peut pas dire si cet acte est historique. Les statuts sont donnés pour cinq ans, c'est donc l'avenir qui le dira. On verra qui n'a pas tenu ses promesses ou, au contraire, si c'est le premier pas réel d'une réconciliation.
Êtes-vous optimiste ?
Dans la foi, je pense que le pire n'est pas forcément sûr et je souhaite que l'on donne toutes ses chances à cette initiative. Mais, connaissant la situation et les personnes, je reste d'un réalisme prudent.
Avez-vous poussé à cet accord, ou est-il venu de Rome ?
Quand ces prêtres ont été exclus de la Fraternité Saint-Pie-X, s'est posée pour eux la question de leur statut ecclésial. À moins de créer une Église nouvelle, la seule possibilité qui leur restait était, soit de revenir un jour après l'expulsion dans la Fraternité Saint-Pie-X, soit d'envisager de regagner la communion de l'Église catholique. La première solution était l'incardination. Avec d'autres évêques, je n'étais pas très chaud pour cette solution, dans la mesure où cette incardination concernait un groupe. Je voyais bien moi-même les problèmes que cela poserait sur Bordeaux. J'ai conseillé à l'abbé Laguérie de prendre contact avec Rome, ce qu'il n'a pas fait tout de suite mais une année plus tard. Ce contact avec Rome a, je crois, accéléré l'affaire et a abouti à la décision qui a été prise.
Vous a-t-on tenu informé de son déroulement ?
J'ai été averti au mois de mai de l'existence d'un projet et je savais que cela risquait de venir. Je pensais, de toute façon, qu'il fallait trouver une solution canonique pour ces prêtres, d'autant qu'ils souhaitaient retrouver une plus grande communion et on voyait bien que, du côté de Saint-Pie X, les choses étaient actuellement bloquées. Ensuite, c'est vrai, j'ai appris avec un peu de surprise que la signature allait intervenir vendredi dernier. À ce titre, d'ailleurs, ce qui n'a pas encore été précisé pour l'implantation prévue à Bordeaux devra l'être dans les mois qui viennent.
Avez-vous le sentiment de prendre un risque ecclésial ?
Le risque a été pris par Rome, puisqu'ils dépendent de Rome. Le risque est aussi partagé par tous les évêques qui vont accepter ces prêtres dans leurs diocèses.
Dont vous-même...
Les statuts sont clairs. Pour ce qui est de la vie interne de l'institut, ils dépendent directement de Rome. Pour ce qui est de la naissance d'une paroisse ou le fait de servir une paroisse, ou tout ce qui est l'apostolat des fidèles et la mission, ils dépendent de l'évêque diocésain. Et ils sont enfin obligés d'avoir l'accord de l'évêque diocésain pour toute implantation dans un diocèse.
Recueilli par Jean-Marie Guénois