A propos de Benoît XVI, vous n’êtes pas satisfait de la façon dans son discours à la curie où il mettait justement en opposition cette herméneutique de la rupture ; il y a eu une rupture entre la pensée d’avant le concile et celle d’après, et lui soutenant l’herméneutique de la continuité en disant : on reste dans la même tradition de l’Eglise.
Disons, on voit très, très bien dans ce discours un essai de mettre le concile sous une nouvelle lumière. Je ne sais pas s’il faut dire un essai de sauver le concile, c’est moi qui parlerais comme ça, mais en tout cas il y a une volonté de mettre une barrière à une interprétation, une compréhension du concile qui a été la présentation habituelle du concile maintenant pendant des années. On voit très, très bien que le pape, sous des mots délicats se distancie de la présentation habituelle du concile. Donc il y a vraiment une volonté de présenter autrement le concile, au moins au niveau des principes, je ne sais pas ce que ça va donner.
Vous-même l’avez présenté aussi comme une rupture.
Ah oui, tout à fait, c’est sûr ! Et même si vous regardez ce discours de près vous verrez que le Saint Père concède qu’il y a quand même rupture, peut-être pas tout au fond, mais en tout cas au niveau de la présentation, au niveau des applications ; c’est ce qu’il dit quand il essaie de montrer qu’il n’y aurait pas rupture au niveau des principes, principes qu’il dit ne pas être apparents ; alors il parlera aussi de continuité dans la discontinuité… je pense que là on aura un thème de discussion très très intéressant.
Ce discours vous réjouit plutôt ou bien vous…
Il me réjouit par sa clarté, par sa précision, aussi par sa volonté d’éliminer un certain nombre de positions qui vraiment nous posent problème dans l’Eglise, posent des problèmes, ça me réjouit, je pense qu’il ne va pas assez loin mais c’est toujours délicat dans un mouvement d’essayer de fixer jusqu’où ça va aller. Il est très clair qu’il ouvre là une ligne, une ligne nouvelle. Jusqu’où ira-t-il dans cette ligne ? je n’en sais rien.
Est-ce que dans les problèmes qui restent à résoudre, est-ce que vous maintenez votre revendication — pardonnez moi d’employer ce discours syndical — d’un statut à part dans l’Eglise pour la Fraternité ?
Je pense que Rome nous l’accordera, dans ce sens là il n’y a pas besoin de revendiquer. Et nous nous trouvons plutôt dans la position contraire, c’est-à-dire que nous ne cessons de dire à Rome : mais nous voulons être des catholiques normaux, nous n’avons pas du tout envie d’avoir un statut marginalisé — nous n’avons pas du tout, si on peut dire, excusez-moi l’expression, dans le zoo, nous n’avons pas du tout envie de jouer le rôle du dinosaure à qui on accorderait un statut spécial. Parce que dans les discussions que nous avons avec Rome, depuis déjà un certain temps, on nous dit : bon on va respecter votre charisme particulier. Nous disons : mais écoutez, cette messe que nous demandons nous ne la demandons pas pour nous, nous la demandons pour tous, c’était autrefois la messe de tous, la messe catholique et nous demandons qu’elle redevienne la messe de tous et non pas simplement la nôtre, et donc dans ce sens là nous ne demandons pas de statut particulier, au contraire… peut-être qu’il faudra passer par cette étape, ça oui, probablement même.
Qui pourrait être une formule du type d’une prélature comme pour l’Opus Dei ?
Je pense que ce sera un petit peu différent. On parle d’Administration apostolique, c’est un petit peu différent. Quelle est la différence : la prélature ne concerne que les membres, c’est-à-dire qu’effectivement les membres de l’Opus Dei jouissent de certains, si on peut dire, privilèges mais n’en bénéficient que les membres, vous devez être membres de l’Opus Dei. La Fraternité, les membres de la Fraternité à strictement parler ce sont des prêtres et des religieux, c’est tout, on ne parle pas des fidèles, donc il faut trouver une formule qui englobe aussi, bien sûr, évidemment, les fidèles.
Donc cette Administration apostolique pourrait vous être accordée, mais en dehors des évêques gardiens de l’unité des catholiques dans un territoire diocésain.
Je pense qu’il y aurait un régime d’exemption.
Vous êtes sûr ?
J’ai dit : je pense, et je suis passablement sûr, oui.
Dans le style de ce qui s’est fait par exemple à Campos, dans un sens peut-être plus large ?
Voilà, c’est ça, c’est l’optique de Campos. C’est-à-dire que forcément à un certain moment il y a quand même des relations, ce n’est pas un régime totalement indépendant. Le régime des fidèles, dans un cas pareil, on appelle un régime de juridiction mixte, c’est-à-dire que Rome ne soustrait pas ces fidèles à l’autorité des évêques, mais elle leur permet de bénéficier de cette autorité parallèle qu’on trouve dans une administration.
On peut donc imaginer un retour de la Fraternité dans le giron romain ?
Les termes utilisés seront plutôt des termes comme “régularisation d’une situation” parce qu’effectivement, dans ce cadre, il y a le problème du sacre lui-même, censuré par Rome ; nous essayons nous d’expliquer que la censure ne porte pas à cause des circonstances et, disons, basée sur le droit canon ; Rome dira ou a essayé de dire par le conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs que notre argument, c’est-à-dire l’argument de nécessité ne valait pas pour ce cas là. Disons, pour dire les choses plus précisément, il y a un code, enfin un canon du droit canon nouveau, qui dit que si quelqu’un agit par nécessité il ne tombe pas sous la loi et un autre canon qui dit que si cette nécessité était purement subjective, c’est-à-dire que si la nécessité n’existait pas objectivement mais que la personne pensait qu’il y avait nécessité, eh bien ! elle ne devait pas être punie par la peine maximale prévue par le droit. Ce sont les arguments que nous utilisons pour dire, d’une part, que nous pensons qu’il y a nécessité, état de nécessité même objectif, mais enfin même si Rome ne veut pas reconnaître cet état objectif il reste le point de vue subjectif et donc on ne devrait pas être punis par la peine maximale. Il y a eu une thèse, une licence en droit canon qui a été déposée sur ce thème-là, et qui a été reçue par la Grégorienne. Il y eu ensuite cette intervention du Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs pour dire que, dans ce cas-là, on ne peut pas parler de nécessité parce que sinon, bien sûr, cela introduit un principe de possibilité d’anarchie dans l’Eglise.
Néanmoins, et ça c’est très intéressant aussi, lors de l’audience avec le pape, le pape a réutilisé l’argument en disant : « Vous n’avez pas le droit de justifier votre activité en faisant référence à un état de nécessité » en donnant comme explication : « j’essaie, disait-il, de résoudre les problèmes », ce sont ses paroles. C’est un aveu en même temps : cela veut dire qu’il y a des problèmes ; s’il essaie de les résoudre c’est que les problèmes sont encore existants et lui-même, quelques minutes plus tard, dans son explication disait : « Il faudrait voir s’il n’y a pas état de nécessité en France et en Allemagne. » Ce qui montre que finalement notre argument n’est pas si mauvais que ça. Enfin c’était juste un tout petit développement pour dire que…
En quoi il y aurait état de nécessité en France et en Allemagne ?
Il ne me l’a pas dit, il ne l’a pas dit. Je me suis posé d’abord la question pourquoi ces deux pays ? Alors là c’est une pure… c’est l’explication personnelle : je pense que le Saint Père à ce moment-là fait une référence aux problèmes liturgiques et aux oppositions qu’on peut trouver dans ces deux pays pour une liberté de l’ancienne messe. Je ne suis pas sûr, c’est un essai d’explication. Parce que si je compare la France, l’Allemagne avec les autres pays du monde franchement je ne vois pas beaucoup de différences, en tout cas de mon côté. C’est vrai qu’au point de vue liturgique aux États-Unis par exemple, il y a beaucoup plus de liberté, beaucoup plus d’évêques, il y a au moins 150 diocèses où la messe tridentine est célébrée, avec ce qu’on appelle la messe de l’indult, c’est-à-dire l’évêque qui a donné cette permission. Mais lorsque nous parlons d’un état de nécessité c’est une autre perspective. Il n’y a pas que la liturgie, il y a toute la vie de l’Eglise, il y a l’enseignement de la foi…
Est-ce que vous avez un échéancier avec Rome ?
On est en train de le mettre au point. Je ne peux pas dire qu’il existe déjà. La seule chose que je peux dire c’est que justement Rome voudrait aller vite et qu’il nous semble qu’on ne peut pas aller aussi vite que ça.
Rome voudrait aller vite, c’est-à-dire eux ont fixé une échéance ?
Non. Tout au début, en l’an 2000, j’avais vu le cardinal Castrillón le 29 décembre. Il disait à cette époque-là : le pape voudrait que tout soit terminé pour Pâques, donc pour Pâques 2001 ; voyez maintenant nous sommes en 2006.
Je pense qu’on avance, mais on avance lentement. C’est dû à plusieurs éléments, je pense que l’élément… un des éléments qui freine c’est l’élément psychologique ; j’ai essayé d’expliquer ça à Rome en leur disant : écoutez les gens qui viennent chez nous sont des gens qui ont été blessés, qui ont été heurtés et qui à un certain moment ont fait un pas qui leur a coûté énormément. C’est-à-dire qu’ils se sont trouvés devant un choix, et ce choix c’était continuer dans une situation qui les heurtait ou bien nous rejoindre en sachant qu’ils allaient se trouver sous les censures ecclésiastiques. Et ce n’est jamais agréable de se trouver devant une censure ecclésiastique. Néanmoins ils ont préféré faire ce pas plutôt que de rester dans la situation où ils se trouvaient. Or, comment imaginer, comment penser que ces fidèles se retrouvent dans la situation antécédente sans que quelque chose d’autre se soit passé entre-deux ? C’est ça, et si vous voulez il y a ce que j’appellerai sous le mot méfiance. Dans nos milieux on se - entre guillemets — “méfie” de Rome et c’est tout un travail pour dépasser cette méfiance, pour apprécier la situation actuelle, pour voir ce qui a bougé, ce qui a changé, dans quel sens ça va et ça demande du temps tout ça .