Pouvez-vous nous dire un mot sur la façon dont vous avez été nommé Supérieur général de la Fraternité Saint-Pierre ?
A peu près deux semaines avant notre chapitre général en juillet dernier, le cardinal Castrillon Hoyos, le nouveau président de la Commission pontificale Ecclesia Dei, m'a demandé de servir comme Supérieur général de la Fraternité. Ce n'était certes pas ce à quoi je m'attendais puisque j'avais prévu de poursuivre mes études de théologie à Rome. Cela faisait neuf ans que je présidais à l'implantation de la Fraternité aux Etats-Unis et au Canada. J'aspirais à un temps de repos, de prière, et de réflexion. J'étais d'ailleurs en vacances chez mes parents quand l'appel est venu de Rome.
Pourquoi donc ai-je accepté cette position difficile ? II y a depuis plus d'un an une crise grave au sein de la Fraternité, en particulier en France. Un esprit de division et de conflit a remplacé l'esprit de charité fraternelle qui devrait animer ses membres. Il ne s'agit pas ici de lancer la pierre à quiconque. Pour celui qui est familier avec la fondation de nouveaux ordres, il y a souvent une crise d'identité une dizaine d'années après leur fondation. Mon but est de ramener la paix au sein de la Fraternité comme le déclare le cardinal dans sa lettre au chapitre général de la Fraternité : « Sa première tache sera lie rendre la paix à votre Fraternité en travaillant à maintenir et même à renforcer sa spiritualité commune et fortifier son esprit de famille ».
Cette intervention du Saint-Siège n'est pas quelque chose de tout à fait nouveau. En 1991, la Commission n'avait pas tenu compte de l'élection tenue au chapitre général et avait renommé l'abbé Bisig comme Supérieur général.
Je tiens à rendre hommage à l'abbé Josef Bisig, mon prédécesseur, qui, pendant les douze dernières années, s'est dépensé sans compter. Sous sa direction, la Fraternité est passée d'un petit groupe de prêtres animés d'une volonté de rester fidèles à l'Eglise à une des sociétés les plus dynamiques de notre temps. Il n'a pas hésité à voyager d'un continent à l'autre pour étendre l'apostolat de la Fraternité. C'est ainsi qu'en dépit de la crise qui a secoué la Fraternité ces derniers mois, nous avons pu étendre notre apostolat jusqu'en Australie où nous avons commencé une fondation dans l'archidiocèse de Melbourne. Deux prêtres et deux séminaristes travaillent cette première implantation sur ce continent.
Que pensez-vous des fameuses Responsa du cardinal Médina publiées l'an dernier ?
Ce document répondait à des questions précises au sujet des prêtres ayant reçu le privilège d'utiliser les anciens livres liturgiques du rite romain en usage en 1962. Un privilège n'enlève pas le droit général. Les prêtres ayant reçu ce privilège ne perdent pas pour autant l'usage du droit général. Le missel romain du pape Paul VI est aujourd'hui le rite normatif de l'Eglise latine. Un prêtre ayant reçu l'Indult peut-il être interdit de célébrer le rite normatif par un évêque ou son supérieur ? La réponse est négative. Ce document ne force aucun prêtre à célébrer ou concelébrer le nouveau rite ni ne permet à un évêque de forcer un membre de la Fraternité de célébrer la liturgie normative.
Plusieurs interprétations de ces documents virent le jour. Certains pensaient que le prêtre qui rejoignait ou était ordonné pour la Fraternité renonçait automatiquement à son droit de dire la messe de Paul VI. D'autres voulaient introduire une loi interdisant la célébration de la nouvelle messe au sein de la Fraternité d'une manière ou d'une autre. Je ne peux ici que répondre brièvement. La Nef a fait paraître un article du Père Basile, osb, qui expliquait bien la question. De toute façon, il ne faut pas oublier que les prêtres de la Fraternité ne célèbrent pas l'ancien rite parce qu'ils sont forcés ou obligés de le faire mais parce qu'ils aiment et vénèrent cette liturgie, pour sa précision théologique ainsi que sa spiritualité. La mission que l'Eglise leur a confiée est précisément d'être à la disposition des évêques pour servir les fidèles attachés à ce rite.
La Commission Ecclesia Dei a t-elle profité de ce chapitre général pour changer la spécificité propre de la Fraternité Saint-Pierre ?
Au contraire, le cardinal insiste bien sur cette spécificité qu'il prend bien soin de situer dans un contexte ecclésial. Les prêtres de la Fraternité ont reçu le privilège d'offrir le Saint Sacrifice de la Messe et d'administrer les autres sacrements selon le rite antérieur, « cette vénérable forme de la liturgie romaine». C'est « la contribution caractéristique de votre institut à l'œuvre commune de l'Eglise ». La Fraternité contribue ainsi selon sa spécificité propre « à cette nouvelle évangélisation à laquelle le Saint-Père nous appelle tous ». En particulier, « votre charge est de le faire (maintenir le Sacré) en célébrant cette vénérable forme de la liturgie romaine ».
Vos prêtres pourront-ils être forcés de célébrer et de concélébrer la nouvelle liturgie ou même de devenir bi-rituels ?
Les prêtres de la Fraternité ont reçu « le privilège de célébrer selon les livres liturgiques de 1962 » et ils peuvent le faire exclusivement. En tant que prêtres de rite latin, les prêtres de la Fraternité conservent le droit de célébrer les Saints Mystères selon le Missel Romain actuel mais « il est clair qu'aucun prêtre n'est forcé de faire usage de ce droit ». De plus, ils ne pourraient pas le faire dans le cadre de leur apostolat habituel mais seulement « dans des cas spéciaux, qui ne seront pas fréquents » tels que la concélébration avec l'évêque du lieu, signe de communion hiérarchique.
Les statuts de la Fraternité Saint-Pierre ont-ils été modifiés ?
La Commission Ecclesia Dei, avec l'aide de la Congrégation des Instituts de Vie consacrée et des Sociétés de Vie apostolique, avait demandé une précision plus grande dans certaines questions de nos statuts en particulier sur le fonctionnement interne de la Fraternité, par exemple les compétences du Supérieur général, de son conseil, des Supérieurs de District et de séminaire, et nous devions également introduire une législation sur les provinces qui devront remplacer éventuellement certains districts lorsqu'ils auront atteint une taille suffisante. En ce qui concerne la nature et la mission de la Fraternité, rien n'a changé.
Vous héritez d'une situation de tension au sein de ta Fraternité Saint-Pierre ? Pensez-vous qu'il soit possible aujourd'hui de ta surmonter ?
Je n'aurai pas accepté la mission du cardinal si je n'avais pas la certitude qu'il est possible de ramener la paix et l'harmonie. Je crois trop en la mission de la Fraternité pour ne pas essayer. J'ai reçu tant de témoignages de fidèles qui sont si reconnaissants que la Fraternité Saint-Pierre ait une paroisse ou un apostolat proche de chez eux. En Amérique du Nord, où j'étais supérieur, nous travaillons maintenant dans vingt-cinq diocèses. Nous avons dû plusieurs fois au cours des six dernières années refuser ou retarder une fondation dans un nouveau diocèse. Nous y avons une trentaine d'apostolats. Pourquoi pas la même croissance en France ? Le besoin est le même. Maintenant que Rome a parlé et que les choses sont plus claires, nous devons, prêtres et laïcs travailler dans le même sens au lieu de gaspiller notre énergie à nous combattre.
Est-il possible de dépasser les clivages, non seulement entre les prêtres de la Fraternité, mais aussi chez les laïcs ?
Bien sûr ! Cela prendra du temps pour guérir les blessures et les cicatriser, sans aucun doute. L'enjeu en vaut la peine. Il y a déjà trop de divisions chez les catholiques attachés à la Messe traditionnelle. Il y a trop d'énergie gâchée. Il y a tant à faire pour que la Messe classique soit disponible pour tous ceux qui désirent y assister. Si chacun y met de la bonne volonté, je pense que nous pourrons non seulement pardonner mais aussi oublier les offenses commises. Les fidèles n'attendent que cela. Si les prêtres ne vivent pas la charité fraternelle, comment leur apostolat pourrait-il être vraiment fructueux ? Pour résoudre les disputes matrimoniales, il faut commencer par faire que les conjoints prennent le temps de s'écouter et de comprendre les griefs de l'autre. Les querelles naissent souvent d'un manque de communication.
Je comprends que les laïcs puissent s'inquiéter lorsqu'ils entendent toutes sortes d'histoires mais il faut qu'ils vérifient les faits avant de réagir. Il est si facile de s'indigner lorsqu'un fait est raconté en dehors de son contexte. Il y a certaines personnes qui prennent plaisir à tout envenimer en faisant croire certaines choses pour provoquer une réaction affective qu'ils pourront à nouveau utiliser. Lorsqu'on entend une chose qui semble être scandaleuse, il faut toujours vérifier les faits, tout d'abord avec la personne intéressée, puis, s'il le faut, avec son supérieur hiérarchique.
Pouvez-vous définir les grandes lignes qui guideront votre supériorat ?
C'est encore difficile car je voudrais parler à tous nos prêtres et séminaristes avant de constituer un programme d'action. Cependant je peux dire dès maintenant que mon premier objectif est de ramener la paix parmi les prêtres pour que tous travaillent dans la même direction pour la même mission. La Fraternité n'a encore que 12 ans d'âge, un âge auquel on se chamaille beaucoup ! Elle n'a pas encore la maturité des ordres plus anciens. Au cours des six prochaines années, il lui faut atteindre la maturité nécessaire pour atteindre sa majorité.
Avec la croissance impressionnante des dernières années, il y a des changements d'organisation qui s'imposent. Un de mes objectifs est d'étoffer la maison généralice. Le Supérieur général ne peut pas tout faire. Non seulement le secrétaire général et l'économe général mais également les assistants doivent l'épauler au jour le jour dans sa tâche. Ils devront donc vivre sous le même toit et participer ensemble à la gestion de la Fraternité. Ils l'aideront à promouvoir plus de communication et de charité fraternelle entre les membres.
Après le succès que vous avez connu aux Etats-Unis, comment voyez-vous l'implantation de la Fraternité Saint-Pierre en Europe et en France ?
Notre implantation en Amérique du Nord a commencé trois ans plus tard que celle de l'Europe mais c'est, aujourd'hui, notre district le plus important avec la moitié de nos apostolats au monde. Depuis le début, nous avons pris soin de travailler en bonne intelligence avec l'évêque du lieu et de collaborer avec les autres prêtres du diocèse. Si nous sommes attentifs à bien leur expliquer notre mission, ils comprennent très bien que nous leur sommes complémentaires. Les fidèles trouvent dans nos paroisses et communautés un havre de paix et une réponse à leurs besoins spirituels.
Je dois avouer que lorsque j'ai commencé ma mission en Amérique en 1991, j'étais plutôt pessimiste. Après avoir exprimé mon pessimisme à un saint prêtre (de rite byzantin), il m'a conseillé de commencer une neuvaine perpétuelle à l'Immaculée Conception (Patronne principale de l'Amérique) et à saint Michel. Il m'a expliqué qu'à chaque fois qu'il s'est trouvé dans une situation difficile, il a toujours prié ces deux saints et il a toujours été exaucé. J'ai demandé à nos amis de dire chaque jour les prières que Léon XIII avait demandé de dire après la Messe pour le succès de notre apostolat et l'effet ne s'est pas fait attendre... Je crois que les Français pourraient faire de même, Marie étant également patronne de la France sous le vocable de l'Assomption et la France ayant été de plus consacrée à l'archange saint Michel. Une des tactiques du démon est de semer la zizanie pour faire échouer les entreprises les plus admirables. Avec l'aide de l'Immaculée Conception et de saint Michel, nous pourrons surmonter nos divisions pour remplir notre mission pour la plus grande gloire de Dieu et le salut des âmes.
Recueilli par Philippe Maxence