Perspectives conciliaires entre la troisième et la quatrième session
Entre la seconde et la troisième session du Concile, S. Exc. Mgr Marcel Lefebvre, archevêque titulaire de Synnada en Phrygie, et Supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit, nous avait donné une étude où il « faisait le point » : voir notre numéro 81 de mars 1964. Aujourd’hui il fait semblablement « le point » entre la troisième et la quatrième session, et il fait à nouveau à la revue Itinéraires le très grand honneur de la choisir pour y publier son article.
Que le concile de Vatican II soit en définitive un bienfait pour l’Église, il semble difficile de ne pas l’affirmer au moins par principe. Mais il est une chose certaine dont il est impossible de douter sans attendre la fin du Concile, c’est qu’il aura manifesté, avec une évidence incontestable, combien l’Église, en certains de ses membres les plus élevés, peut être influencée par le magistère des temps nouveaux : l’opinion publique.
Jamais on n’avait pu mesurer, comme à cette occasion, la terrible puissance des moyens de communication sociale, et en particulier de la presse et de la radio au service des inspirateurs de l’opinion publique.
N’a-t-on pas entendu et lu dans les textes conciliaires ces paroles : « Le monde attend, le monde désire…, le monde est impatient… » ? Que d’interventions ont été faites, même inconsciemment, sous cette influence. Que de pères ont voulu se faire les porte-parole de cette « opinion publique », combien d’autres ont approuvé ces interventions par peur de n’être pas conformes à ce nouveau magistère !
Rechercher les fins, les moyens des inspirateurs de l’opinion publique serait une étude passionnante et très instructive. Pour ma part je me contente de constater les faits, de rechercher les lignes de force de ces faits et, en les regroupant, de montrer avec certitude qu’il ne s’agit pas de manifestations occasionnelles, mais bien plutôt d’une des phases du combat du Prince de ce monde contre l’Église de Notre Seigneur.
Il est impossible en effet de ne pas comparer ce que nous ont enseigné nos maîtres vénérés de la Grégorienne et du Séminaire français, ce qu’ont enseigné les papes en ces dernières décades, avec ce que nous avons entendu et avec ce que nous lisons à l’occasion du Concile. Comment ne pas conclure qu’il s’agit d’un autre magistère que celui de l’Église ? Les discours des papes clôturant les sessions, leurs interventions, ne font que corroborer cette affirmation.
Nombreux sont les prêtres, plus nombreux encore les fidèles qui sont bouleversés par ce qu’ils lisent ou entendent et qui le plus souvent n’est que l’écho de ce nouveau magistère. Non, l’Église en la personne du successeur de Pierre, ne l’a pas encore substitué au magistère traditionnel ; l’Église romaine non plus, et ceci est d’une importance majeure ; en effet l’Église de Rome est, par l’union à son évêque mater et caput omnium ecclesiarum. Or la majorité des cardinaux et spécialement les cardinaux de Curie, la majorité des archevêques de la Curie et donc de l’Église de Rome, les théologiens romains dans l’ensemble ne sont pas de ce nouveau magistère. Et c’est là ce qui fait la force de cette minorité, dont l’opinion publique parle avec une certaine commisération. Jusqu’à présent elle se trouve avec Pierre et l’Église romaine, c’est une bonne garantie.
Peut-on essayer de découvrir les éléments principaux de ce magistère ? Un recul dans le temps faciliterait sans doute cette analyse. Mais comme il apparaît certain que beaucoup de ses principes sont hérités des tendances modernistes abondamment décrites par les derniers papes, il est donc plus aisé de les déceler.
On peut, me semble-t-il, grouper les observations autour de deux faits ou deux points névralgiques du Concile : la collégialité juridique et la liberté religieuse.
Premier thème
La collégialité juridique contre la hiérarchie
Il paraît indéniable que l’un des premiers objectifs que proposaient ceux qui se faisaient les porte-parole de l’opinion publique était le remplacement du pouvoir personnel du pape par un pouvoir collégial. Les temps modernes, soi-disant, ne permettant plus une autorité personnelle comme celle du pape, exercée par des services entièrement à sa discrétion, il fallait donc supprimer la Curie et donner au pape un conseil d’évêques avec lequel il gouvernerait l’Église, les évêques ayant eux aussi une réelle participation au gouvernement de l’Église universelle.
Cette affirmation atteindrait à la fois le pouvoir personnel du pape et le pouvoir personnel de l’évêque.
Il fallait donc à tout prix prouver que la collégialité juridique a des fondements dans la tradition et en conséquence dans la théologie. La suppression de la distinction entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction faciliterait la preuve. L’évêque ayant par son sacre le pouvoir sur l’Église universelle, le pape ne peut pas gouverner l’Église universelle sans faire appel aux évêques. Du même coup le pape ne peut enlever ou trop restreindre les pouvoirs de juridiction des évêques puisqu’ils les tiennent de leur sacre.
La collégialité était donc l’objectif à atteindre. Cet objectif atteint, toutes les conclusions venaient d’elles-mêmes ; elles modifiaient radicalement les structures traditionnelles de l’Église. Désormais, tant à Rome que dans les nations, l’Église serait gouvernée par des assemblées et non plus par une autorité personnelle absolument contraire à tous les principes de la société moderne selon les novateurs.
La collégialité se présentait donc comme le premier « cheval de Troie » destiné à ruiner les structures traditionnelles. D’où l’acharnement avec lequel tout fut mis en oeuvre pour une réussite assurée. Il faut avouer qu’humainement, vu le nombre de ceux qui croyaient devoir approuver, vu les moyens employés, le succès de la thèse nouvelle était certain.
Mais l’Esprit Saint veillait et il faut lire attentivement la Note explicative pour se rendre compte que ce message est vraiment descendu du Ciel. Car premièrement elle élimine la collégialité juridique et en conséquence supprime tout droit des évêques au gouvernement de l’Église universelle, deuxièmement elle soumet la juridiction personnelle des évêques à l’entière disposition du successeur de Pierre, troisièmement elle réaffirme que le rôle de pasteur de l’Église universelle appartient au pape seul, quatrièmement elle notifie avec clarté que les évêques ne peuvent agir collégialement que selon la volonté explicite du pape…
La structure traditionnelle de l’Église est donc parfaitement sauvegardée, comme le pape lui-même l’affirma dans son discours de clôture.
II faut avouer qu’après les angoisses que nous avons connues au cours de la deuxième session et au début de la troisième, cette lumière divine projetée à nouveau sur l’immuable constitution de l’Église nous a paru comme un signe éclatant de la divinité de l’Église.
Comment d’ailleurs ne pas lier les deux événements: l’éloignement des erreurs qu’apportait une collégialité mal comprise et l’apparition de Marie Mère de l’Église, de l’Église de Notre Seigneur, de l’Église catholique romaine, de l’Église faite du pape, des évêques unis et soumis au pape et chefs de leurs Églises particulières, des prêtres et particulièrement des curés coopérateurs des évêques et enfin des fidèles recevant par ce sacerdoce hiérarchique les grâces innombrables qui leur permettent de se sanctifier, de sanctifier la famille, la paroisse, la commune, la profession, la cité, et ainsi de soumettre tout à l’ordre divin, par la pratique de la vertu de justice: Opus justitiæ Pax.
L’Église est vraiment éternelle et Marie, qui à elle seule a vaincu toutes les hérésies, continue de veiller sur elle avec une maternelle sollicitude.
Deuxième thème
La liberté religieuse contre le magistère
Dès le début du Concile les attaques contre le magistère de l’Église et contre ses organes essentiels ont été d’une telle virulence qu’il est apparu avec évidence que l’un des objectifs à atteindre était une modification profonde dans le magistère traditionnel.
Le magistère du pape, le Saint-Office, l’un des principaux organes du magistère du pape, la Sacrée Congrégation de la Propagande, et tout ce qui sert de fondement traditionnel au magistère de l’Église : l’Écriture, la Tradition, l’enseignement de saint Thomas d’Aquin, les institutions de l’enseignement de l’Église comme les écoles catholiques, le zèle des conversions, c’est-à-dire le prosélytisme, tout cet ensemble a été attaqué systématiquement.
II me semble que le « cheval de Troie », destiné à réaliser cette opération contre le magistère traditionnel de l’Église, se trouve être l’inconcevable schéma de la « liberté religieuse ».
Celui-ci admis, toute la vigueur et toute la valeur du magistère de l’Église sont frappées à mort d’une manière radicale, car de soi le magistère est contraire à la liberté religieuse. Le magistère impose sa vérité, oblige moralement le sujet à l’accepter, le prive donc de sa liberté morale. Sans doute sa liberté psychologique demeure, mais sa possibilité de refuser l’enseignement ne lui donne pas pour autant le droit de refuser. II doit croire sous peine de condamnation. N’est-ce pas là une coaction contraire à la liberté ?
Le magistère doit s’imposer aux enfants, aux mineurs par ceux qui ont charge d’eux et qui croient. L’autorité croyante doit protéger le magistère et sauvegarder la foi de ceux dont elle a la charge. Autant d’atteintes à cette « liberté religieuse » qui donne à chaque conscience le libre choix de sa religion.
Ainsi s’expliquent mieux les constatations qui suivent.
Le magistère du pape sera fortement attaqué, son infaillibilité sera présentée comme l’expression de l’infaillibilité de l’Église prise dans son ensemble et non comme une infaillibilité personnelle. Les documents du magistère ordinaire des papes seront exclus dans la rédaction des schémas, comme indignes d’un texte conciliaire.
Nous savons trop de quelle manière a été traité le Saint-Office et son si admirable secrétaire. Cette méthode de jeter le discrédit sur la personne pour discréditer la fonction est abominable et suffit à montrer de quel esprit sont animés ceux qui l’emploient.
La Sacrée Congrégation de la Propagande n’a pas été épargnée. Elle aussi est essentiellement au service du magistère : peut-il y avoir propagation de la foi sans magistère, sans prosélytisme, sans zèle pour l’enseignement sous toutes ses formes ? Or cela n’est pas conforme à la conception de la liberté religieuse qui peut accepter le dialogue d’égal à égal, le témoignage, mais pas l’ardente prédication sur la nécessité de la conversion pour être sauvé et sur la menace de la damnation éternelle qui pèse sur ceux qui refusent de croire et qui demeurent dans leurs péchés.
Il faudrait modifier le nom de la Congrégation, certains suggérèrent même de la supprimer, son existence est offensante pour la Liberté religieuse. Propager la foi a un aspect de coaction morale qu’il faut absolument éviter.
Le magistère se manifeste d’une manière trop catégorique et par voie d’autorité dans les Séminaires, dans les écoles catholiques, il faudra apporter des réformes profondes dans ces institutions, peut-être même les supprimer en assimilant les séminaristes aux étudiants d’universités et en supprimant les écoles catholiques là où il y a des écoles d’État.
L’enseignement devra se faire plutôt par carrefours que par cours, par consultations en bibliothèques plutôt que par un manuel expliqué, d’ailleurs il serait préférable de partir de l’apostolat pratique pour arriver à l’enseignement de la théologie. L’enseignement thomiste doit être présenté comme une solution possible et non comme l’enseignement de l’Église.
Les écoles catholiques devront en toutes circonstances se montrer respectueuses de toutes les religions et admettre les candidats indistinctement. Il est fâcheux d’ailleurs que les écoles soient affirmées catholiques, car ce caractère se présente avec un certain aspect d’intolérance religieuse qui ne convient plus à notre époque.
Mais les réformes désirées ne s’appliquent pas seulement aux organes et institutions du magistère de l’Église, mais aux sources mêmes de ce magistère.
Les Écritures doivent admettre une interprétation très diverse selon les genres littéraires et même selon la théorie des formes. L’inerrance sera donc diverse selon la diversité des genres. On pourra ainsi admettre des doutes légitimes sur de nombreux passages de l’Écriture. Quant à la Tradition, il faut nécessairement la considérer en fonction du temps, des circonstances. D’où il est évidemment inutile d’apporter des documents de la Tradition à l’encontre de ce que désire affirmer le Concile d’aujourd’hui. Dire que l’encyclique Libertas praestantissimum de Léon XIII s’oppose au concept de la liberté religieuse que désire affirmer le Concile conformément à l’opinion publique, n’a pas de sens : Léon XIII a parlé pour son temps et non pour 1965.
Il y aurait bien d’autres affirmations formulées par le « nouveau magistère », mais il me semble que cette énumération suffit amplement pour prouver que les interventions qui apparaissent dispersées ont une convergence incroyable. II est clair que le magistère de l’Église gêne les adeptes du magistère de l’opinion publique. II faut donc de toute manière le diminuer. Le moyen propice sera la « liberté religieuse ». Ces mots magiques, ambigus, sont plaisants comme la pomme plaisait à Ève. Quelle formidable victoire contre l’Église militante, « triomphaliste », si cette liberté était admise. Que de conclusions on pourrait tirer ! Jusqu’où pourrait-on amener l’Église acceptant dans son sein les arguments qui doivent la ruiner.
Le magistère de l’Église est sa raison d’être et la raison d’être du magistère est la certitude de posséder la Vérité. Or la Vérité est de soi intolérante vis-à-vis de l’erreur, comme la santé est opposée à la maladie. Le magistère ne peut pas admettre le droit à la liberté religieuse, même s’il la tolère. Dieu en effet n’a pas laissé à l’homme le droit de choisir sa religion, mais seulement la malheureuse possibilité, qui est une faiblesse de la liberté humaine. On reproche à l’Église de réclamer la liberté religieuse lorsqu’elle est en minorité et de la refuser lorsqu’elle est en majorité. La réponse est aisée. La Vérité est source du bien, de la vertu, de la justice, de la paix. Là où est la Vérité, ces bienfaits se manifestent dans la société. L’Église demande que l’on reconnaisse qu’elle apporte ces biens précieux pour les États et, qu’en conséquence, on lui accorde la liberté de les dispenser. Les hommes d’État sensés et soucieux du bien de leurs concitoyens admettent volontiers la valeur des bienfaits culturels et sociaux apportés par l’Église catholique et lui accordent aisément une liberté qu’ils refusent parfois aux autres.
L’Église est en droit de demander cette liberté d’existence et d’action parce qu’elle apporte avec elle les dons précieux qui découlent de la Vérité dont elle est seule détentrice d’une manière totale.Toute l’histoire contemporaine des Missions montre cette situation privilégiée de l’Église catholique, qui fait fleurir les vertus familiales et sociales en ses membres. C’est pourquoi des États, à majorité non chrétienne, placent à leur tête ou à des fonctions importantes ces catholiques qui par leur dignité de vie, leur probité, leur conscience apportent le témoignage éclatant de la vérité de l’Église catholique.
N’était-ce pas ce que disait déjà saint Cyprien à l’empereur pour lui demander d’épargner les chrétiens et leur laisser la liberté ?
Quand l’Église est majoritaire, elle doit à la Vérité et au bien des peuples de dispenser la bonne doctrine et de répandre ainsi tous les bienfaits qui découlent de la Vérité auprès des citoyens, les mettant à l’abri de l’erreur et des vices qui l’accompagnent. C’est vivre dans l’abstraction, dans l’irréel, que de raisonner de la Vérité sans faire allusion au bien qui lui est inséparablement uni, de même que le mal et le vice sont inséparablement unis à l’erreur. Il est plus aisé de reconnaître que seul le bien a des droits et que le mal n’en a pas. Or ce qui s’affirme du bien doit se dire de même de la Vérité. Ens, verum et bonum convertuntur, ce que l’on affirme de l’Être peut se dire du Vrai et peut se dire du Bien et inversement, ces trois réalités ne sont qu’une et même chose.
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Avant d’esquisser certains remèdes aux maux qui affectent l’Église, il me semble nécessaire d’insister sur le danger qui menace l’Église en montrant combien les objectifs désirés par les novateurs servent exactement les thèses soutenues par les protestants et les communistes.
Qu’il suffise de lire ce que disent des pasteurs comme M. Richard-Molard dans ses articles du Figaro, qu’on écoute M. Garaudy à la rencontre de Louvain : ce dont se réjouissent ces messieurs, qui évidemment prennent leurs idées à une autre source que celle de l’Église romaine, c’est de constater qu’enfin une grande partie des catholiques comprennent que deux caractères de l’Église catholique romaine sont inadmissibles : son magistère et son genre d’autorité.
Le magistère est intolérable parce qu’il s’impose et s’attribue la Vérité dans les domaines de la foi et des moeurs, c’est-à-dire dans la vie sociale et dans les principes moraux qui dirigent la politique, l’économie, la technique. Il faut en finir avec ce magistère, le remplacer par un dialogue, que l’Église descende de la chaire, se mêle au peuple sur un pied d’égalité avec toutes les confessions. Qu’elle dialogue, mais n’enseigne plus avec autorité. Qu’elle soit la première à accorder la « liberté religieuse ».
D’où l’immense intérêt porté par les communistes et les protestants à ce thème de la liberté religieuse.
De plus, comme le dit Garaudy à Louvain : « Finissons-en avec les classes dans la société. » Donc, dans l’Église : finissons-en avec l’« Ordre » qui est précisément un sacrement instituant des classes parmi les personnes, les unes étant supérieures, les autres inférieures. Finissons-en avec la juridiction qui, elle aussi, crée des classes.
Que la distinction entre prêtres et laïcs, entre évêques et prêtres, entre le pape et les évêques s’estompe, tous frères, égaux dans tous les domaines. Il faut supprimer les marques extérieures de ces différences d’ordre et juridiction, et voilà trouvé le mot magique de « triomphalisme » qui servira admirablement à détruire toutes les marques de respect envers l’autorité vouée au nivellement.
Sans doute peu nombreux sont les pères du Concile qui ont pensé que les protestants et les communistes viendraient applaudir à leurs interventions faites en ce sens. Mais la réalité est là qui aujourd’hui crève les yeux. Ces affirmations sont nombreuses des ennemis traditionnels de l’Église se réjouissant de voir des membres éminents de l’Église abonder dans les idées qu’ils ont toujours défendues.Mais ceux-ci se sont trompés, l’Église ne vient pas à leurs idées. Ni la collégialité, ni la liberté religieuse mal entendues, contraires à la doctrine de l’Église, ne passeront : c’en est fait pour la première thèse, c’en sera bientôt fait pour la seconde.
La Vierge Marie veille sur le magistère et sur l’autorité dans Son Église catholique et romaine.
Suggestions pour l’avenir
Malgré une certaine confusion des idées à l’heure actuelle, peut-on rechercher les clartés de la nouvelle aurore que le Concile fera lever sur le monde ?
Ces perspectives seront sans doute plus aisées à découvrir dans quelques années. Mais n’est-il pas souhaitable que ceux qui ont vécu la vie du Concile s’efforcent, dans la parfaite soumission au Successeur de Pierre, de les déterminer afin de susciter les initiatives vraies et généreuses, sorties de la plus pure tradition de l’Église, surgissant vraiment de l’Esprit de Dieu toujours vivant dans son Épouse ?
Liturgie
Au milieu des oppositions, des exagérations, des discussions qui caractérisent cette période d’adaptation de la liturgie, peut-on espérer qu’une ligne moyenne fructueuse sera trouvée ?
À voir la rapidité, inaccoutumée dans l’Église, avec laquelle dans tous les pays les applications se sont réalisées, on ne peut s’empêcher de craindre que certaines mesures n’entraînent des résultats imprévus et malheureux. Ainsi en est-il de la dévotion au Saint-Sacrement, de la dévotion à la Vierge Marie et aux Saints dont les statues sont éliminées de nombreuses Églises, sans aucun souci de la plus élémentaire pastorale et catéchèse ; de la belle et bonne ordonnance de la maison de Dieu, qui est devenue une maison des hommes plus qu’une maison de Dieu ; de la beauté vraiment divine des chants latins supprimés et non encore remplacés par des mélodies équivalentes.
Cependant de ces constatations devons-nous conclure qu’il fallait garder toutes ces choses sans changement ? Le Concile avec mesure et prudence a répondu par la négative. Quelque chose était à réformer et à retrouver.
Il est clair que la première partie de la messe faite pour enseigner les fidèles et leur faire exprimer leur foi avait besoin d’atteindre ces fins d’une manière plus nette et dans une certaine mesure plus intelligible. À mon humble avis deux réformes dans ce sens semblaient utiles : premièrement les rites de cette première partie et quelques traductions en langue vernaculaire.
Faire en sorte que le prêtre s’approche des fidèles, communique avec eux, prie et chante avec eux, se tienne donc à l’ambon, dise en leur langue la prière de l’oraison, les lectures de l’Épître et de l’Évangile ; que le prêtre chante dans les divines mélodies traditionnelles le Kyrie, le Gloria et le Credo avec les fidèles. Autant d’heureuses réformes qui font retrouver à cette partie de la messe son véritable but. Que l’ordonnance de cette partie enseignante se fasse d’abord en fonction des messes chantées du dimanche, de telle manière que cette messe soit le modèle suivant lequel les rites des autres messes seront adaptés, autant d’aspects de renouvellement qui apparaissent excellents. Ajoutons surtout les directives nécessaires à une prédication vraie simple, émouvante, forte dans sa foi et déterminante dans les résolutions. C’est là un des points les plus importants à obtenir dans le renouveau liturgique de cette partie de la messe.
Pour les sacrements et les sacramentaux, l’usage de la langue des fidèles semble encore plus nécessaire, puisqu’ils les concernent plus directement et plus personnellement.
Mais les arguments en faveur de la conservation du latin dans les parties de la messe qui se font à l’autel sont tels qu’on peut espérer qu’un jour prochain des limites seront mises à l’envahissement de la langue vernaculaire dans ce trésor d’unité, d’universalité, dans ce mystère qu’aucune langue humaine ne peut exprimer et décrire.
Que ne devons-nous pas souhaiter pour que l’âme des fidèles s’unisse, spirituellement, personnellement, à Notre Seigneur présent dans l’Eucharistie et à son divin Esprit, de telle sorte que tout ce qui peut nuire à ce but, par exagération de prières vocales et exagération de rites, par manque de respect à l’Eucharistie, par une vulgarité inconvenante pour les mystères divins, doit être absolument proscrit. Une réforme en ce domaine ne peut être bonne que si elle assure d’une manière plus certaine les fins essentielles des mystères divins tels que Notre Seigneur les a établis et que la Tradition les a transmis.
La Constitution de l’Église
Mais voici un sujet peut-être plus délicat à évoquer et qui semble cependant peu à peu s’acheminer vers des formules plus précises, c’est le problème qui a été l’occasion du débat sur la collégialité.
Nous vivons à une époque de multiplication à l’extrême des moyens de communication sociale. En soi, cette multiplication peut avoir d’excellents effets et devrait en avoir. II apparaît donc normal que la communication des pensées, l’échange des idées soit plus fréquent, plus riche. Or selon le traité de la prudence de saint Thomas, l’autorité, le chef, avant d’exprimer un jugement, de prendre une décision, doit dans sa sagesse prendre conseil auprès des personnes qu’il juge aptes à le conseiller. Il apparaît donc normal aujourd’hui, grâce à ces possibilités de prendre conseil auprès des personnes aptes, mais qu’on ne pouvait facilement atteindre il y a seulement quelques décades, que le chef de l’Église universelle, le pape, s’entoure de conseillers qu’il ne pouvait avoir autrefois. Que cette possibilité, dont seul le chef est juge, apporte quelques modifications dans la Curie romaine, c’est-à-dire dans ce qui forme le Conseil habituel du Saint-Père et ceux auxquels il confie une part de sa responsabilité, c’est possible et vraisemblable. Mais à cette occasion faire dire aux pères du Concile qu’ils avaient un droit de co-gouvernement avec le pape fut une entreprise insensée.
Il est inconcevable de changer ce qui est depuis que la volonté de Notre Seigneur s’est exprimée clairement et que la Tradition inspirée a mis en exercice ce gouvernement qui a d’ailleurs fait ses preuves d’origine divine, par sa stabilité, et en définitive sa parfaite adaptation à tous les temps. On ne changera jamais le fait que le pape, et lui seul, a comme vicaire de Jésus Christ, un pouvoir qui s’étend à l’Église universelle.
Mais cela n’a jamais empêché les papes d’adapter leurs services aux nécessités du temps. Et cela demeure le domaine propre du successeur de Pierre. Les évêques ne peuvent, même comme pères du Concile, que faire de très respectueuses et discrètes suggestions.
Toutefois ce problème tant agité à l’intention du gouvernement de l’Église universelle a des répercussions graves dans un domaine qui touche de près les évêques, leur propre pouvoir dans leur diocèse. Là aussi il y a des directives nouvelles à attendre, mais quel besoin de vouloir attaquer ce qu’il y a de plus beau, de plus sacré, de plus efficace dans l’Église, après le pouvoir pastoral du pape, le pouvoir pastoral et paternel de l’évêque, en l’absorbant dans un pouvoir collectif ? Toute la vigueur de l’apostolat de l’Église se trouve dans ces deux pouvoirs. C’est grâce à ces deux pouvoirs hiérarchisés, en ce qui concerne la juridiction, mais pouvoirs très bien répartis et donnant une autorité considérable aux évêques dans les diocèses, que l’Église est une organisation d’apostolat remarquablement vivante, souple, s’adaptant aux lieux, aux populations, avec une sagesse et une vitalité qui n’existe en aucun gouvernement de ce monde.
Ainsi ce pouvoir est et ne peut être qu’intangible. Toute restriction qui ne viendrait pas directement du pape serait profondément nuisible à l’apostolat et paralyserait le zèle et l’initiative épiscopale, qui sont la vertu de l’apostolat.
Cependant, certaines conditions sociales actuelles demandent sans aucun doute que les évêques d’une région ou d’un pays ou de plusieurs pays se rencontrent, échangent leurs préoccupations en fonction de certaines difficultés qui peuvent être similaires, instaurent ensemble certains services d’information, de presse, et même d’apostolat, mais tout ceci à des conditions extrêmement précises, surtout en ce qui concerne directement l’apostolat. Il semble que l’on puisse dire :
- qu’il est dangereux de créer des Directions, mais qu’il est utile de développer des Services auxquels les évêques peuvent s’adresser ; et
- qu’il est souhaitable qu’une certaine unanimité puisse se faire sur certains problèmes importants comme celui de l’enseignement, par exemple, mais que, toujours, tout évêque demeure libre et juge de l’application dans son diocèse, à moins que la question soit soumise au Saint- Siège qui jugera de ce qu’il faut faire.
Il est inconcevable qu’une majorité en impose à une minorité par le simple jeu des votes. C’en serait fini de l’autorité épiscopale.
Il est de première importance que l’évêque soit considéré dans son diocèse comme le seul responsable de l’apostolat après et sous le pape. Toute autorité intermédiaire serait intolérable et ruinerait toute initiative épiscopale. Elle serait manifestement contraire à toute l’histoire de l’Église.
Cependant qui niera que ces rencontres épiscopales fraternelles, que certains services communs puissent être utiles et bienfaisants : qu’on songe au Secours catholique, à Misereor, aux OEuvres pontificales missionnaires, à la Mutuelle sacerdotale. Que de services peuvent être ainsi rendus ! Mais toute organisation ayant une répercussion sur l’apostolat ne peut être qu’un service et non une direction. L’évêque en son diocèse doit demeurer entièrement libre, sous peine de n’être plus qu’un fonctionnaire et, disons-le, un mineur.
Autant les assemblées faites dans les normes jusqu’ici admises par le Saint-Siège sont encourageantes et fécondes, autant faites dans le sens de limiter sans cesse le pouvoir personnel de l’évêque, elles deviendraient étouffantes et intolérables parce que contraires à la nature même du pouvoir épiscopal.
Combien il semble bon d’évoquer ici tout ce que peut apporter dans le gouvernement épiscopal une heureuse mise en pratique de ce que suggère le droit canon ! Les synodes, les conférences sacerdotales, les consulteurs diocésains. Que d’heureux échanges peuvent être ceux de l’évêque avec ses prêtres conseillers, responsables de l’apostolat immédiat ! Ce qui importe, c’est le respect de l’autorité épiscopale décidant en dernier lieu. Mais les suggestions seront d’autant plus franches et plus fraternelles que le respect de l’évêque sera plus grand. Bienheureux l’évêque qui vit fraternellement avec ses prêtres, les aime, les comprend, les visite personnellement, les encourage, les édifie. On peut tout espérer d’un diocèse où les prêtres sont vraiment les coopérateurs de l’évêque et où chaque prêtre remplit la fonction qui lui est donnée en se gardant de détruire l’autorité des autres et en particulier du curé, pasteur directement responsable des âmes qui lui sont confiées. Quand les pouvoirs sont bien ordonnés, entre les curés, les prêtres chargés de l’AC, les aumôniers des écoles, sous l’oeil paternel de l’évêque, les résultats peuvent être admirables. Seul l’évêque du diocèse peut créer cet ordre et lui donner vie et efficacité. Si l’organisation vient d’en dehors du diocèse, sans l’autorité personnelle de l’évêque du lieu, c’est le désordre qui s’introduit. Il en est de même pour la paroisse, lorsque le curé ignore ce qui s’y fait et qui concerne son apostolat. Omnia in ordine fiant !
Nombreux sont les problèmes étudiés par le Concile, mais il en est dont il est difficile de déterminer les conclusions étant donné que les textes ne sont pas encore définitifs : ceux qui concernent le magistère en particulier, la liberté religieuse, les Missions, le schéma de l’Église dans le monde, la Révélation, les écoles, les séminaires…
On peut cependant espérer en toute vérité que le Concile portera des fruits abondants, tout autant par le maintien ferme des vérités traditionnelles que par les perspectives nouvelles qu’il permet d’entrevoir. En définitive, les efforts pour obtenir un faux « aggiornamento » auront contribué à situer exactement le Véritable, tel que l’Église le désire.
Persévérons donc dans la prière avec Marie et les Apôtres pour que l’Esprit de Notre Seigneur descende en abondance dans les âmes de tous les pasteurs et de tous les fidèles.