Marquée au coin : non envoyée, mais contenu exposé oralement au TRP par Mgr Gay en présence des signataires, le 30 novembre 1963
Monseigneur et Très Révérend Père,
Dans les Notes et Documents nous lisons qu’en 1845 le Conseil de communauté de La Neuville, préoccupé de la santé du Vénérable Père, se réunit pour lui demander et même lui imposer respectueusement – de même suivre un règlement l’obligeant à prendre les précautions nécessaires pour protéger sa vie si précieuse pour la Congrégation.
Il est peu de jour où l’un ou l’autre d’entre nous n’entende des réflexions désobligeantes de la bouche d’évêques et de cardinaux français, même de ceux qui nous sont personnellement attachés, ce qui nous peine profondément.
Beaucoup d’évêques de France ont regretté votre lettre à Verbe. Non pas que l’on ne reconnaisse votre droit à dire votre pensée au sujet d’un mouvement qui a certainement été calomnié sur plusieurs points ; mais cette lettre avait le tort d’être publique et d’arriver immédiatement après la mise en garde des cardinaux et archevêques. Aussi a-t-elle été considérée, à tort ou à raison, comme une prise de position contre l’assemblée française. Votre critique de La Croix a été jugée inopportune ; nous en subissons d’ailleurs toujours les conséquences.
Les évêques français ont regretté votre circulaire à la Congrégation sur le costume ecclésiastique, qui a été connue de tous. C’était certainement le droit du Supérieur général de rappeler les principes du port de la soutane, mais, ici encore, votre lettre, arrivant après la décision quasi générale de l’épiscopat français d’autoriser le clergyman, a été comprise comme une nouvelle marque d’opposition à l’assemblée. Plusieurs évêques spiritains se sont demandé s’il entrait dans les pouvoirs du Supérieur général de s’opposer d’une manière aussi absolue au port du clergyman pour la France et la Belgique, alors que nos Constitutions (n° 21) réservent aux coutumiers provinciaux de décider de la modification du costume et que le coutumier général (n° 23, addition 1940) dit textuellement : « On doit porter le costume des ecclésiastiques du pays. On est tenu de suivre les usages autorisés et admis. »
Une autre critique des évêques concerne le Séminaire français de Rome. Le Séminaire pontifical français se trouve dans une situation particulière : il a été fondé pour accueillir les élèves des divers diocèses de France. Sans doute la Congrégation en a-t-elle la charge, mais n’a-t-elle pas l’obligation morale de tenir compte de l’avis des évêques français ? Or, tous, ou presque tous, ont regretté le départ du père Lécuyer et souhaitent qu’il revienne comme directeur et père spirituel. Même si les tendances doctrinales du père Lécuyer diffèrent de celles du Supérieur général, il nous semble que celui-ci devrait se montrer assez large d’esprit pour tolérer d’autres manières de voir que les siennes, du moment qu’elles sont conformes à l’esprit actuel de l’Église. Le père Lécuyer est universellement estimé ; même au Saint-Office, ses ouvrages sont appréciés et étudiés.
Unanimement les évêques ont été heurtés par la désignation du chanoine Berto – dont les tendances excessives ne sont ignorées de personne – comme théologien du Supérieur général, comme s’il n’y avait pas de théologiens compétents dans la Congrégation ! Personne ne peut contester au Supérieur général le droit d’avoir des idées qui lui soient personnelles, ni de les exposer loyalement.
Personne ne peut lui reprocher de chercher à convaincre paternellement ses confrères. Mais peut-il aller jusqu’à imposer ses points de vue à la Congrégation ? Peut-on faire grief à ses confrères de suivre la majorité du Concile dans ses orientations nouvelles ? La largeur de vues de Jean XXIII et de Paul VI ne devrait-elle pas servir d’exemple ? Aujourd’hui, circulent dans l’Église des courants divers adoptés par elle. N’est-ce pas le cas de dire que nous n’avons pas à nous montrer plus catholiques que le pape ?
Nous constatons avec peine que notre Supérieur général, par les positions diverses qu’il adopte ouvertement, s’isole de plus en plus des évêques de France, et nous craignons que notre recrutement – déjà si difficile – n’en subisse les conséquences.
Par ailleurs, l’union dans la Congrégation est certainement menacée en cette période agitée. Plusieurs d’entre nous, qui sont en relation épistolaire avec des jeunes pères et des scolastiques qu’ils connaissent comme des hommes pieux, zélés, attachés à la Congrégation, s’inquiètent de la crise très sérieuse par laquelle passe la jeune génération spiritaine. Ne serait-ce pas nécessaire – et sans doute urgent – qu’une direction paternelle et compréhensive vienne rétablir un climat de confiance parmi ces jeunes confrères qui constituent l’avenir de la Congrégation ?
En toute simplicité, nous avons voulu, Monseigneur Très Révérend Père, vous faire part de nos appréhensions, persuadés que vous ne nous tiendrez pas rigueur de notre franchise. Les enfants ont toujours le droit – et parfois le devoir – de parler librement à leur père. Nous ne le faisons d’ailleurs que dans l’intérêt de notre chère Congrégation.
Et nous osons espérer que vous voudrez bien prendre en considération ces réflexions, comme le fit le Vénérable Père, en 1845, devant l’insistance respectueuse de la communauté de La Neuville.
Nous vous assurons, Monseigneur et Très Révérend Père, de notre très filial et très respectueux attachement
Joseph Mascher, Jean-Baptiste Fauret, Jean Gay, Michel Bernard, François Cléret de Langavant, Jean Wolf, Georges Guibert, Raymond de Lamoureyre, Jean David, Joseph Cucherousset, Gérard de Milleville.