Excellences, chers confrères dans le sacerdoce, chers ordinands, chers séminaristes, chères sœurs, bien chers fidèles et parents des ordinands,
Une fois encore cette année, la divine Providence nous permet de conférer les ordinations, en cette grande fête des apôtres saint Pierre et saint Paul, ordinations au diaconat et au sacerdoce. C’est toute notre raison d’être, car la finalité de la Fraternité réside dans le sacerdoce, et les ordinations sont pour nous l’occasion de renouveler l’esprit qui doit être le nôtre, cet esprit sacerdotal dans la fidélité à l’héritage qui nous a été transmis par notre vénéré fondateur, Mgr Lefebvre.
Il est vrai que lorsqu’on parle du diacre, l’on pense à la prédication. C’est une mission qui vous est confiée par l’Eglise. C’est une mission d’apostolat : fides ex auditu, la foi vient de la prédication (Rom. 10, 17). Cette mission, l’Eglise l’a reçue de Notre Seigneur lui-même : « Allez prêcher, allez dans toutes les nations, prêchez tout ce que je vous ai enseigné. » (cf. Matthieu 28, 19). En devenant diacre et en recevant cette mission de vos supérieurs, vous êtes associés à la mission de prédication de l’Eglise. Ce qui est remarquable c’est de voir l’insistance de l’Eglise, le lien qu’elle établit entre le diacre et le Saint Esprit. Au moment où l’évêque va imposer la main sur votre tête, il va mentionner d’une manière extraordinaire le Saint Esprit : accipe Spiritum Sanctum ad robur – recevez le Saint Esprit pour être fortifiés – ad resistendum diabolo et tentationibus ejus – et pour résister au diable et à ses tentations.
Pourquoi insister sur cette force, pourquoi appeler le Saint Esprit pour le diacre en insistant sur cette force ? Il me semble qu’il faut là vraiment relier la prédication et le martyre. Les deux sont liés. Lorsque Notre Seigneur parle de l’action du Saint Esprit aux apôtres, il leur dit : « Le Saint Esprit rendra témoignage de moi au monde » (Jean 15, 26). Et nous savons tous que cela veut dire que le Saint Esprit manifestera la divinité de Notre Seigneur au monde. Puis Notre Seigneur continue en disant à ses apôtres : « et vous aussi vous rendrez témoignage » (Jean 15, 27). En grec cela se dit martyre. Le témoignage c’est le martyre. Cette charge de la prédication, il faut que vous soyez prêts à l’assumer jusqu’au martyre. C’est dans le secret des dispositions du Bon Dieu, on touche là à tout le mystère du salut, du combat de l’Eglise militante. Le salut s’opère par la croix de Notre Seigneur. Notre Seigneur va être tué parce qu’Il apporte le salut ; et pour ses disciples, dans leur participation à son sacerdoce et à sa mission salvatrice, est inscrite la possibilité du martyre. Saint Jean nous le dit, Notre Seigneur est « la lumière du monde » (Jean 8, 12), Il éclaire tous les hommes, et il est vrai que le monde ne veut pas recevoir cette lumière. Ceux qui sont ses instruments, ceux qui doivent apporter cette lumière ne sont pas au-dessus du Maître : « Si le monde vous hait, sachez qu’il m’a haï d’abord » (Jean 15, 18).
Si vous avez des problèmes dans votre prédication, pour autant que vous prêchiez ce que vous devez prêcher et non pas vos idées personnelles – ce serait une autre question si vous aviez des problèmes à cause de cela –, mais si vous êtes bien fidèles à votre mission et que vous avez des problèmes, ne vous en étonnez pas ! C’est normal. C’est pourquoi l’Eglise appelle pour vous le Saint Esprit, dans la même formule où il est fait mention du Saint Esprit et du combat pour résister au diable et à ses tentations : « Recevez le Saint Esprit pour être fortifiés et pour résister au diable et à ses tentations ». Ces modèles vous sont proposés : saint Laurent, saint Etienne surtout, le premier martyr. Car vous n’êtes pas diacres pour plaire au monde, vous recevez déjà cette participation à la mission de salut et cela va vous coûter, il faudra être fidèles. Nous demanderons aujourd’hui dans cette cérémonie cette fidélité.
Pour le prêtre aussi, le Saint Esprit est mentionné. Chaque fois qu’il s’agit de sanctification, nous le savons bien, cette œuvre est attribuée au Saint Esprit. Et chaque fois qu’il s’agit de conférer un caractère, cette opération est attribuée au Saint Esprit tout particulièrement. De nouveau, dans la forme même du sacrement de l’ordination des prêtres : innova in visceribus eorum spiritum sanctitatis, voilà ce que l’Eglise demande : l’esprit de sainteté. Il y a là un lien immédiat, direct entre le sacerdoce et la sainteté. Il n’est pas permis de concevoir le sacerdoce – depuis Notre Seigneur – sans la sainteté. On ne peut plus les distinguer, il faut associer le sacerdoce et la sainteté. Il ne peut pas y avoir de sacerdoce au rabais, c’est un devoir fondamental, vraiment essentiel qui repose sur l’être même du prêtre.
Il n’est pas étonnant de voir que le premier article du Droit canon qui concerne l’Eglise et les clercs – et donc les prêtres – porte sur le devoir de tendre à la sainteté. Quand l’on entend certains qui veulent se dispenser d’efforts en disant : « Non ! Nous ne sommes pas des moines », l’on est complètement à côté de l’essentiel. Ce sont des excuses faciles, mais fausses et injurieuses pour le sacerdoce. L’esprit de sainteté est fondé sur le sacerdoce de Notre Seigneur – Tu solus Sanctus –, Lui, la sainteté même, qui veut nous faire participer à son Sacerdoce. Le caractère est une participation à son Sacerdoce, et saint Thomas n’hésite pas à dire à l’union hypostatique même, c’est-à-dire au plus profond de la sainteté de Dieu. Le prêtre ne peut plus dire qu’il est comme les autres. Il est bien sûr choisi entre les hommes, mais il reçoit en lui cette marque sacrée, ce sceau qui touche sa substance, qui touche son être : son âme est marquée pour toujours de ce caractère par lequel il devient l’instrument privilégié de Notre Seigneur, par lequel Notre Seigneur continue sur la terre son œuvre sacerdotale, son œuvre de sanctification. Il est vraiment l’instrument de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
En devenant prêtres, vous êtes voués au sacrifice. Voués au sacrifice, voués pour faire le sacrifice, pour le renouveler, pour perpétuer le sacrifice de Notre Seigneur, mais vous êtes aussi associés à la victime. Il y a là quelque chose qui dépasse la raison, mais que les fidèles savent bien : le prêtre doit rentrer dans cet esprit d’immolation qui est l’esprit de Notre Seigneur… Jésus-Christ dira : « J’ai une autre nourriture, ma nourriture c’est de faire la volonté de Celui qui m’a envoyé (Jean 4, 32,34). Tout ce qui lui plaît je le fais afin que le monde sache que j’aime le Père, selon qu’Il a ordonné, selon qu’Il a commandé ainsi je fais. (cf. Jean 14, 31) » – voyez ce souci de soumission constante, totale aux dispositions du Bon Dieu. Et l’on sait bien que très souvent dans les dispositions du Bon Dieu, dans notre œuvre d’apostolat nous rencontrons des contradictions : c’est normal, c’est le chemin qu’a parcouru Notre Seigneur et qu’Il veut pour ses prêtres. Bien sûr cela nous agace toutes ces contradictions, à nous cependant de faire attention de ne pas laisser resurgir l’homme, mais de laisser triompher le prêtre. L’on voit que la fécondité apostolique dépend de cet esprit d’immolation et l’on voit aussi que c’est le grand souci de Mgr Lefebvre pour ses prêtres. Je vous fais prêtres en vous préparant pour le sacerdoce de Jésus-Christ, mais n’oubliez pas que l’esprit de Notre Seigneur est intimement lié à cette grande prière qu’est son Sacrifice. Le prêtre est un sacrifié.
Demandons en ce jour si beau, si grand pour vous, demandons cette grâce de la fidélité, fidélité à la grâce que vous recevez par l’imposition des mains, comme l’enseigne saint Paul. Demandons pour tous ceux qui sont prêtres, pour tous ceux qui ont reçu cette grâce, que ces jours si magnifiques, si saisissants des ordinations sacerdotales les renouvellent dans l’amour de Notre Seigneur, dans l’amour des âmes, en sachant que de toutes les contradictions, peines et croix… rien n’est perdu pour le prêtre. Tout cela doit nous servir, dans une sainte complicité, pour sauver les âmes, pour les gagner à Notre Seigneur, pour les arracher au péché et au monde.
Lorsqu’on parle de saint Pierre et de saint Paul, lorsqu’on pense à leur martyre, on pense à Rome. C’est à Rome qu’ils sont morts, c’est à Rome que la divine Providence a conduit saint Pierre et saint Paul. Elle les a associés d’une manière mystérieuse, selon ses secrets, et on les célèbre ensemble : l’apôtre des gentils et la tête de l’Eglise, le premier pape. Cela s’est passé à Rome, et lorsqu’on célèbre leur fête on ne peut pas ne pas penser à Rome. On ne peut pas non plus oublier l’amour que notre fondateur avait pour Rome et qu’il voulait inculquer à ses fils. Nous sommes Romains ! Il ne faut pas le lâcher, même si nous vivons un temps difficile, même si nous avons à souffrir de la Rome actuelle. Cela ne doit en rien ternir cet amour vrai, effectif et affectif pour Rome parce que c’est le Bon Dieu qui a choisi cette ville pour être la tête de l’Eglise.
Cela ne veut pas dire que nous allons nous mettre à aimer les erreurs modernes, bien sûr que non ! Nous en souffrons. Mais il ne faut pas se laisser dégoûter par ce qui se passe au point de tout envoyer promener. Non ! Il faut maintenir ce que nous essayons de faire.
Vous vous demandez ce qui se passe avec Rome : si jusqu’ici nous n’avons dit presque rien, c’est que nous n’avons pas grand chose à vous dire. Jusqu’ici les choses en sont au point mort dans le sens où il y a eu des va-et-vient, des échanges de courriers, de propositions… mais nous sommes de nouveau au point de départ. Point de départ que nous avions dit ne pas pouvoir accepter, ne pas pouvoir signer. Nous en sommes là, c’est tout. Cela fait trois ans, que je dis que nous nous trouvons à Rome devant une contradiction. Depuis 2009 je le dis et je le répète, et cela se vérifie tous les jours. C’est la situation de l’Eglise : il y en a qui veulent aller encore plus loin dans le progressisme et les conséquences de progressisme, il y en a d’autres qui veulent essayer de faire des corrections ; et nous, au milieu, nous devenons comme une balle de ping-pong sur laquelle tout le monde tape. Nous savons qu’à la fin l’Eglise se retrouvera. A nous de maintenir dans notre cœur cette volonté de ne pas nous satisfaire d’un certain confort créé par une situation qui n’est tout simplement pas normale.
Car il ne faut pas que finalement, habitués par le fait que nous avons à peu près tout ce qu’il nous faut, nous considérions la situation dans laquelle nous nous trouvons comme normale : ce n’est pas vrai, tout simplement pas vrai. Et il est bon que nous cherchions, en respectant toutes les conditions nécessaires évidemment, à récupérer ce titre qui est le nôtre, auquel nous avons droit, le titre de catholiques. Cela ne veut pas dire qu’il faut se mettre à plat ventre devant les modernistes, cela n’a rien à voir.
La situation présente est difficile, un peu partout électrique, on voit bien que le diable est déchaîné de tous les côtés. C’est le moment de prier. C’est un moment pénible. De nous on dit toutes sortes de choses, mais la seule chose que nous voulons, c’est faire la volonté du Bon Dieu. Un point c’est tout.
La volonté du Bon Dieu s’exprime dans les faits. Pour nous il est clair qu’il ne s’agit pas de galvauder l’œuvre que Monseigneur a fondée ; il est aussi très clair que nous ne pouvons faire du bien à l’Eglise qu’en restant fidèles à cet héritage de Monseigneur. D’où ces conditions que nous avons exposées plusieurs fois et qui doivent garantir que la Fraternité restera ce qu’elle est, si une collaboration est envisageable à un certain moment. Quand ? Comment ? Les circonstances le montreront. On voit bien que cela change, que cela bouge, on ne peut pas dire que tout reste au même niveau.
Je vous donne l’exemple d’une chose intéressante, mais qui est peu remarquée. L’un des points fondamentaux de la crise, noté par Mgr Lefebvre, c’est la mise de côté du prêtre, c’est sa désacralisation. Dans sa conférence à Nantes pour les 15 ans du Concile, il y insiste en disant c’est le fond du problème : on a retourné l’Eglise pour en faire une Eglise des hommes. C’est l’Eglise de Notre Seigneur, c’est la sainteté qui doit être au centre et c’est le prêtre qui a ce rôle de sanctification. Eh bien ! D’une manière étonnante, dans la situation actuelle, on entend, on voit, on rappelle la nécessité de la sainteté, la nécessité de mettre au centre Notre Seigneur. Dans une lettre récente, que l’on peut bien sûr discuter sur certains aspects, il est rappelé que la sanctification et de l’Eglise et du monde dépend de la sanctification du prêtre. Voilà que la Rome actuelle veut remettre au centre de l’Eglise le prêtre et sa sanctification.
Cela ne veut pas dire que tous les problèmes sont réglés, mais cela veut dire que tout d’un coup on entend un rappel fondamental. Et si on ramène les âmes vers Notre-Seigneur Jésus-Christ et si on remet Notre-Seigneur Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, le seul Sauveur, le seul nom qui ait été donné sous le Ciel par lequel on puisse être sauvé (Actes 4, 12), si on le remet au centre, il est évident que cela va aider à sortir de cette crise. Combien de temps faudra-t-il pour que du principe énoncé on arrive à l’application pratique ?
Combien de temps faudra-t-il pour que les prêtres en vivent ? Ma foi, commençons nous-mêmes par en vivre. Soyons, nous, déjà persuadés de cela et vivons de cette sanctification. Je me sanctifie afin qu’ils soient saints (Jean 17, 19), c’est Notre Seigneur lui-même qui nous en donne le modèle, l’exemple vivant.
Confions à Notre Dame tous ces grands soucis, avec confiance. Jusqu’ici on voit comment la divine Providence et la Sainte Vierge Marie ont conduit notre Fraternité d’une manière extraordinaire, comment elles nous ont fait éviter tous les écueils – et Dieu sait s’il y en a eu dans notre histoire. Continuons avec cette confiance, prions la Très Sainte Vierge plus que jamais, prenons-la vraiment comme notre patronne, comme notre protectrice, qu’elle veille sur votre sacerdoce, sur votre diaconat. Que tous les jours elle vous conduise plus près du Bon Dieu, plus près de Notre Seigneur, plus près du Ciel. Ainsi soit-il.