Les intégristes catholiques qui mènent la fronde contre les spectacles jugés « christianophobes » tels que la pièce Golgota Picnic qui commence jeudi au Théâtre du Rond-Point à Paris, sont passés, en six mois à peine, maîtres en « agit-prop ultra-catholique ».
Dans les manifestations qui ont émaillé en octobre les représentations de Sur le concept du visage du fils de Dieu de l'Italien Romeo Castellucci, peu parmi ceux qu'ils ont entraînés ont fait le distinguo entre création et provocation.
D'abord parce que beaucoup n'y ont pas assisté, que ce soit à Paris, Rennes, ou Lille. Ensuite, parce que le concept flou de « christianophobie » est assez porteur pour rallier le plus grand nombre à des petits groupes extrémistes.
De l'extérieur, peu ont également su faire la différence entre « intégristes » fidèles à la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, hostile à Vatican II, et « traditionalistes », restés ou revenus dans le giron de l'Eglise, en échange du droit à célébrer le « rite extraordinaire » d'avant le Concile (1962-65).
Sans compter ceux qui, sans être ces « inté » ou « tradi » que le quotidien La Croix estime à environ 400 000 et 500 000 dans le monde, répartis à égalité, se sont joints aux manifestants, choqués que l'image du Christ puisse être altérée.
Selon une source ministérielle, « si vous prenez la "christianophobie" comme concept, vous ne pouvez pas forcément deviner que c'est l'extrême droite qui est à la pointe du mouvement ».
D'où la confusion portant sur les manifestants.
A cela s'ajoute l'amalgame fait entre les deux pièces, l'épiscopat français estimant en général que Sur le concept du visage du fils de Dieu ne mérite pas l'opprobre, alors que Golgota Picnic de l'Argentin Rodrigo Garcia est un spectacle « blessant ».
Autant dire que l'Institut Civitas, porte-étendard de la révolte, entend bien engranger des points, avec la sortie de cette pièce, jeudi à Paris, appelant à des manifestations à chaque représentation du 8 au 17 décembre.
Civitas ? L'Institut, avatar d'un groupe d'inspiration maurrassienne, qui se veut « une oeuvre de reconquête politique et sociale visant à rechristianiser la France », réfute toute accointance avec l'extrême droite ou l'intégrisme de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X (FSSPX). Sans forcément convaincre.
Pour le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême droite, interrogé par l'AFP, « il ne fait aucun doute que la vision de la société qu'ont les pro-Civitas, meneurs des manifestations, est d'extrême droite ».
« A partir du moment où l'on part du postulat que ce n'est pas la loi civile qui doit primer, mais la loi religieuse, on est hors consensus démocratique, hors consensus républicain. Les références historiques, théologiques, politiques de Civitas sont d'extrême droite. »
Selon Nicolas Senèze, du quotidien La Croix, « Civitas - qui revendique un millier d'adhérents et fonctionne en petites cellules - n'est autre que la branche politique de la FSSPX. Ses cadres religieux sont des prêtres de la Fraternité ».
« Mais, le plus surprenant, estime-t-on de source ministérielle, le plus spectaculaire, c'est l'arrivée de jeunes, ralliés par les réseaux sociaux. Les intégristes catholiques sont devenus maîtres en agit-prop. »
Civitas s'est targué d'avoir réuni 92 000 signatures contre l'exposition en Avignon (Vaucluse), ce printemps, du cliché Piss Christ d'Andrès Serrano, représentant un crucifix plongé dans un verre d'urine.
Son secrétaire général Alain Escada entend bien ne pas en rester là. « Notre démarche, a-t-il déclaré à l'AFP, consiste aussi à dresser une liste noire des sociétés, qui par leur publicité ou leur mécénat, ont une attitude hostile à la chrétienté ».