de l’Assemblée des évêques catholiques du Québec
Vendredi 8 mai 2009
« Il m’a été dit que suivre avec attention les informations auxquelles on peut accéder par Internet aurait permis d’avoir rapidement connaissance du problème. J’en tire la leçon qu’à l’avenir au Saint-Siège nous devrons prêter davantage attention à cette source d’informations. » Ces mots de Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques de l’Église catholique soulignent à quel point Internet a été au cœur des récentes crises qu’a connues l’Église catholique ces derniers mois Mais, au delà de la seule recherche d’information nécessaire à la prise de décision, Internet a révélé dans l’Église une autre façon de communiquer, et presque une autre façon d’être l’Église.
A. Ce qui s’est passé sur Internet
Commençons par observer ce qui s’est passé sur Internet à l’occasion des différentes crises de l’Église en 2009.
On peut distinguer trois temps :
D’abord, la levée des excommunications des 4 évêques ordonnés illicitement par Mgr Lefebvre en 1988, qui provoque incompréhension et critiques.
« Je suis pour le moins troublé par la nouvelle de la réintégration dans l’Eglise catholique d’évêques traditionalistes qui comptent un négationniste parmi eux », écrit ainsi un internaute sur un forum de La-Croix.com. De son côté, le journaliste Bernard Lecomte sur son blog : « Le pape ne pouvait-il pas condamner fermement cette brebis égarée au lieu de la réintégrer dans le giron de l’Eglise ? ». « Pourquoi le Pape s’obstine-t-il à se réconcilier avec les intégristes ? C’est vrai quoi : sur les 1.115.000.000 de catholiques, ils sont une minorité et ils ne nous apportent que des emmerdes. », constate pour sa part le blogueur politique Koz.
On le voit : l’explication (tardive) du geste du pape – un geste de miséricorde à placer dans une volonté plus large d’unité de l’Église – ainsi que l’argumentation purement canonique – l’excommunication portait sur les ordinations illicites, pas les opinions négationnistes de Mgr Williamson – ne sont pas du tout passées…
Deuxième temps : l’affaire de Recife qui provoque critiques et indignations.
Il faut regarder ici la réaction des évêques de France. Très vites, ils ont été inondés de courriels de catholiques indignés par la décision de l’archevêque de Recife d’excommunier la mère d’une petite fille de 9 ans enceinte de jumeaux à la suite de viols commis par son beau-père et qui avait dû avorter. Très vite aussi, ils ont mis sur Internet leurs réactions (la plupart du temps prenant le contre-pied de leur collègue brésilien), réactions qui ont alimenté blogs et forums…
Enfin, la polémique provoquée par les déclarations du pape, au cours de son voyage en Afrique, sur le préservatif. Cette polémique a suscité incompréhension, mais aussi défense et explication.
Ainsi Maître Eolas, un avocat spécialisé dans le droit des étrangers, mais surtout une des signatures les plus lues de la blogosphère française. Dans un billet intitulé La (Bonne) Parole est à la défense, l’avocat, qui fait à cette occasion son coming-out catholique, s’insurge contre les « trois attaques médiatiques portées coup sur coup » à l’encontre de l’Eglise, qu’il résume ainsi : « L’Église aurait réintégré un évêque négationniste », « Elle aurait excommunisé une fillette de 9 ans qui a avorté après avoir été victime d’un viol », « Enfin le Pape aurait contesté l’efficacité du préservatif »... Et de démonter point par point le réquisitoire des médias français. S’ensuit un gros débat, avec 439 commentaires qui s’enchaînent à la suite de son billet…
Autre prise de parole : celle du blogueur Koz, qui tente de démonter la manipulation médiatique. « Plutôt que d’en discuter, donc, on décrédibilise. Pensez-donc.… Collons plutôt ça dans la série des gros tabous, des trucs que le gros bon sens commun, ou à tout le moins le sens commun bien-pensant, tient pour vrais, et refermons-là le débat, de peur qu’il implique une remise en question de nos comportements. » Dans ce billet intitulé avec humour Les capotes sont cuites, il va jusqu’à dénoncer le « mythe » et le « dogme laïco-sociétal » du préservatif. Là aussi, profond débat avec 312 commentaires (auxquels il faut ajouter les remarques postés à la suite de billets postérieurs). Son blog, qui rassemble chaque semaine environ 9000 visiteurs en aura 24 000 cette semaine là.
Ce qui est commun à ces 3 temps, c’est l’extraordinaire débat qu’on a pu constater à ces occasions que ce soit entre catholiques (de toutes tendances) et entre les catholiques et ceux qui ne se revendiquent pas de l’Église.
Jusqu’ici, en effet, Internet était plutôt le lieu d’expression privilégié des cathos traditionalistes (ce qui est finalement peu étonnant de la part de post-modernes, plus à l’aise dans une culture du réseau).
Or, aujourd’hui, on assiste à une prise de parole à plusieurs niveaux :
- Celle des catholiques non-pratiquants mais qui, à cette occasion, se sont sentis concernés par ce qui se passait dans “leur” Église (un peu comme ces lointains cousins qu’on ne voit qu’épisodiquement mais qui s’inquiètent soudain de la fuite dans le toit de la maison où ils ne mettent jamais les pieds…).
- Une prise de parole de catholiques engagés, ayant bénéficié du solide effort de formation théologique que l’Église a entamé voilà déjà plusieurs années, et qui se sentent en droit de prendre la parole.
Où s’exprime-t-il cette prise de parole ?
- Sur des sites spécifiques créés pour l’occasion (pétitions pour ou contre)
- Sur des lieux de débats identifiés comme tels (forums d’Église, de la presse catholique… Ainsi le succès du blog Le Vatican et les intégristes lancé par La-Croix.com et qui a recueilli plus de 1000 commentaires validés)
- Sur des sites non-identifiés comme catholiques mais dont leurs auteurs font à cette occasion “profession de foi” catholique (Blogpulse, outil de mesure des discussions en ligne soulignait que le mot excommunication était utilisé dans 0,02% des blogs dans le monde, soit une multiplication par 10)
Tout cela montre l’existence d’une opinion publique catholique qui a fait d’Internet un lieu privilégié de son expression.
B. L’émergence d’une opinion publique
Opinion publique ? Le mot fait peur dans l’Église catholique. Ainsi cette réaction d’un lecteur de La Croix du 9 avril 2009 après un article sur le sujet : « L’opinion publique évoque pour moi des images terribles. Le nazisme où un sinistre orateur déclenchait l’enthousiasme des foules ».
Pourtant, dès 1950, Pie XII soulignait la nécessité d’une opinion publique dans l’Église : « L’opinion publique, est l’apanage de toute société normale composée d’hommes qui, conscients de leur conduite personnelle et sociale, sont intimement engagés dans la communauté dont ils sont membres….. Là où n’apparaîtrait aucune manifestation de l’opinion publique, là surtout où il faudrait en constater la réelle inexistence, par quelque raison que s’exprime son mutisme ou son absence, on devrait y voir un vice, une infirmité, une maladie de la vie sociale. » (Discours aux journalistes catholiques, 17 février 1950, A.A.S., XLII (1950), p. 251.)
Depuis, le magistère de l’Église a constamment repris et développé cette idée. Ainsi l’instruction pastorale Communio et progressio de 1971 : « Les moyens de communication constituent une sorte de place publique où l’on échange des nouvelles, où s’expriment et s’affrontent de multiples opinions. La vie sociale en est profondément marquée et enrichie, et son évolution en est accélérée. Ainsi naît “l’opinion publique”, liée à la nature sociale de l’homme. Sur l’événement, en effet, chacun aime à exprimer ouvertement devant les autres sa réaction et son opinion. Il contribue par là même à façonner des manières collectives de penser et d’agir. (…) Il arrive ainsi que les pensées exprimées publiquement révèlent aux autres l’état d’esprit et le jugement de groupes plus importants, dans un contexte déterminé de lieu, de temps et de coutumes. La formation même de l’opinion publique exige la liberté pour chacun d’exprimer ses sentiments et ses réflexions. Il importe donc, avec le Concile Vatican II, de reconnaître, tant aux individus qu’aux groupements, le droit d’exprimer leur propre opinion, dans les limites de l’honnêteté et du bien commun. Puisque la coopération de tous est requise pour le progrès de la vie en société, il faut admettre la libre confrontation des points de vue; certains se trouvent alors adoptés, d’autres rejetés, d’autres enfin amendés ou conciliés. Les positions les plus solides et les plus constantes peuvent ainsi contribuer à créer une volonté de collaboration. » (n° 24 à 26)
Mais l’Église est-elle prête à accepter ce débat ?
On sait Benoît XVI lui-même avide de débat : il l’a montré lors du Synode des évêques, ses écrits théologiques le soulignent quand il aime à se confronter aux idées de penseurs catalogués «loin de l’Église». Il l’a aussi montré magistralement en débattant avec le philosophe Habermas.
Malgré cet exemple venu d’en haut, il semble quand même que l’Église catholique, aujourd’hui, a peur du débat.
Le fait que des opinions divergentes puissent exister dans l’Église est vécu par certains catholiques comme une atteinte à l’unité. On l’a vu ces derniers mois quand beaucoup ont assimilé la critique – on l’a vu légitime – de décisions pontificales ou épiscopales avec des attaques contre le pape. Mais toutes les déceptions ou les incompréhensions vis-à-vis des décisions en cause consistaient-elles forcément, pour reprendre l’expression de Benoît XVI dans sa Lettre aux évêques, à « mordre et dévorer » ?
Le cardinal Angelo Sodano le rappelait pourtant récemment au théologien contestataire Hans Küng : « Une critique fraternelle est toujours possible dans l’Eglise, depuis l’époque de saint Pierre et de saint Paul ».
Communio et progressio l’affirme d’ailleurs : « Que les catholiques soient pleinement conscients de ce qu’ils ont la vraie liberté d’exprimer leur pensée, laquelle repose sur le “sens de la foi” et sur la charité. Le “sens de la foi” est soutenu par l’Esprit de Vérité, en sorte que le peuple chrétien, guidé par le Magistère et respectueux de son enseignement, adhère indéfectiblement aux vérités de la tradition et les applique toujours mieux à la vie quotidienne. (…) Que les autorités responsables fassent en sorte qu’existe dans l’Église, grâce à la liberté d’expression et de pensée, un échange d’opinions légitimes; qu’elles établissent donc les normes et les conditions propres à le procurer. Un champ immense s’offre à l’Eglise pour le dialogue interne. (…) Les catholiques donc, dans la fidélité au magistère, peuvent et doivent s’engager dans une recherche libre, afin d’être mieux à même de comprendre en profondeur les vérités révélées et de les présenter aux divers groupes humains. Ce dialogue à l’intérieur de l’Eglise ne porte préjudice ni à son unité ni à la solidarité entre croyants. Il peut donc favoriser, par le libre jeu des opinions, la rencontre des courants de pensée et la convergence des esprits. » (n° 116 et 117)
C’est finalement ce que résume aussi le Code de droit canonique qui rappelle que les fidèles « ont le droit et même parfois le devoir de donner aux Pasteurs sacrés leur opinion sur ce qui touche le bien de l’Église et de la faire connaître aux autres fidèles, restant sauves l’intégrité de la foi et des mœurs et la révérence due aux pasteurs » (canon 212 §3).
Le problème est que dans l’Église, on a bien du mal à communiquer sur un mode autre que descendant.
Les catholiques (comme le reste de la société) sont aujourd’hui dans une autre forme de rapport à l’autorité. Les médias eux-mêmes ont du mal à le comprendre. Un article publié le 24 mars par le site lexpress.fr est à ce titre significatif. Intitulé La contre-attaque en ligne des supporters du pape, il juge incompréhensible le fait que des catholiques viennent donner en ligne leur opinion (et en l’occurrence expliquer comment les propos du pape ont été sortis de leur contexte). Ce ne peut être qu’une riposte organisée par le Vatican qui a mobilisé des fidèles qui ont, forcément, le petit doigt sur la couture du pantalon !
Or, justement, depuis au moins Humanae vitae, les catholiques sont loin de ce rapport à l’autorité (même du côté des traditionalistes !). On n’accepte plus l’autorité descendante !
Il est à mon avis symbolique que toutes ces crises se soient déclenchées le jour même où le Vatican lançait en grande pompe sa propre chaîne sur le site de partage de vidéos YouTube. Puisque l’Église catholique était sur YouTube, c’est qu’elle savait naturellement communiquer sur Internet.
Grave erreur ! Cette communication descendante oublie un principe essentiel de la communication que Communio et progressio rappelait pourtant dès 1971 : « Toute la vie sociale repose sur un dialogue permanent entre les individus et les groupes, dialogue indispensable à la compréhension réciproque et à la collaboration » (n° 44).
C. Internet, lieu de dialogue et de conversation
Et cela est encore plus vrai avec le Web 2.0 qui fait d’Internet, par excellence, le lieu du débat et du dialogue. Après le Web documentaire et le Web de l’information, on voit émerger une nouvelle forme de Web : le Web social, dont la caractéristique est l’échange, le débat, le dialogue…
Célèbre blogueur politique en France Nicolas Vambremeersch souligne, dans De la démocratie numérique, qui vient de paraître au seuil, l’importance de la « sociabilité » des liens sur Internet : « J’ai remarqué que nombre de personnes sous-estiment la part de rencontres et de relation qui sous-tend ces échanges ; Souvent, quand on me questionne sur ma pratique du blog, on me prend pour une sorte d’écrivain virtuel, seul devant sa feuille de papier numérique. Or, dans toute ces pratiques, c’est l’échange qui nourrit et qui fait vivre. Un blog, ce sont des rencontres et des échanges, qui ont un caractère très social. (…) La relation est au cœur de la motivation. Sans elles, ces productions ne sont rien. »
Pour lui, les multiples lieux de rendez-vous des internautes sur le Web sont comparables aux cafés du XIXe siècle : « Des lieux de regroupement social, et politique. Républicains, plus tard communistes, bohèmes fréquentent chacun leur lieu, qui est l’espace de la parole, de la conversation. C’est un espace alternatif, identitaire, un lieu d’entraide, de confiance entre pairs d’un même camp. La fréquentation d’un café est souvent liée à une appartenance sociale complémentaire, un club, un corps de métier, une confrérie, un parti politique (une ligue). On y refait le monde, et, surtout, on réagit à ce qui nourrit la discussion : la presse. »
Les gouvernements aujourd’hui ne s’y sont pas trompés : dans la plupart des grandes démocraties, ils ont mis en place des services chargés d’observer ces grands débats d’idées sur le Web.
« Aujourd’hui, de même que les cafés étaient utilisés au XIXe siècle par les polices pour écouter et saisir les mouvements d’opinion, les blogs sont observés comme des lieux d’émergence de l’opinion, d’irruption de points de vue, de tests d’idées. C’est là qu’elles se confrontent et se valident, pour potentiellement émerger comme des mouvements ou des prismes majeurs, par la suite. C’est aujourd’hui moins la police qui exerce une telle surveillance que les entreprises et les politiques, qui apprennent à capter les mouvements d’opinion, leurs apparitions, peuvent y tester leurs positions et apprendre des argumentaires montant dans l’espace public. L’opinion publique est, plus que jamais rendue tangible dans cet espace. »
Et l’Église là-dedans ?
Reconnaissons qu’elle est un peu réticente face à tout ce qui peut s’apparenter à des mouvements d’opinion, forcément fluctuants.
C’est ce que reflète bien l’opinion du vaticaniste blogueur Sandro Magister. « Internet ne reflète pas l’universalité du peuple de Dieu, mais une partie limitée et très orientée, estime-t-il dans un article de La Croix. Trois commentaires sur quatre sont orientés dans le sens traditionnel des médias anti-papistes : sur “la pilule qu’on ne permet pas”, le mariage des prêtres, le sacerdoce des femmes… C’est un orchestre gigantesque qui joue toujours le même air. Je ne le surévaluerais pas. » (La Croix du 24 mars 2009).
Mais comme le remarque aussi le sociologue Jean-Marie Mayer, « Internet est ici à l’image de nos sociétés. Le fait que de multiples personnes s’expriment n’est pas une mauvaise chose : selon les propos qu’ils tiennent, ils vont aussi se trouver confrontés à des remarques et, si nécessaire, pourront développer un jugement mieux informé. Vient-on sur un forum simplement pour donner écho à ses opinions ? Ou aussi pour s’y instruire et s’y informer ? »
Et cela ne vaut-il pas aussi pour la hiérarchie elle-même ?
Comme le souligne Communio et progressio, « la vie de l’Eglise requiert un courant continuel d’informations entre la Hiérarchie et les fidèles. Ce courant doit être réciproque » (n° 120).
Et cette réciprocité est encore plus forte avec le Web social, comme le relevait d’ailleurs, dès 2002, le Conseil pontifical pour les communications sociales dans son document L’Église et Internet : « L’interactivité à double sens d’Internet est déjà en train d’estomper la traditionnelle distinction entre ceux qui offrent et ceux qui sont destinataires de la communication et de créer une situation dans laquelle, du moins potentiellement, chacun peut faire les deux. Il ne s’agit plus de communication à sens unique, du haut vers le bas, du passé. Alors que de plus en plus de personnes se familiarisent avec cette caractéristique d’Internet dans d’autres domaines de leur vie, on peut s’attendre à ce qu’elles la recherchent également en ce qui concerne la religion et l’Eglise. (…) La technologie est nouvelle, mais pas l’idée. Le Concile Vatican II a dit que les membres de l’Eglise devraient dévoiler à leurs pasteurs “leurs besoins et leurs vœux avec toute la liberté et la confiance qui conviennent à des fils de Dieu et à des frères dans le Christ” ».
On le voit donc : ce qui, pour les États, est une exigence démocratique – connaître les besoins des citoyens pour mieux y répondre – l’est plus encore pour une Église qui se définit elle-même comme “Peuple de Dieu” et “communion”.
D’autant plus que sa vision de l’opinion publique la prépare à cette réalisation de la communion, comme le rappelle l’instruction pastorale Aetatis Novae de 1992 : « Ce peut-être un moyen de réaliser concrètement le caractère de communion de l’Église, qui trouve son fondement dans la communion intime de la Trinité et qui la reflète. Entre les membres de cette communauté qui constitue l’Église, il existe une égalité foncière de dignité et de mission qui provient du baptême et est à la base de la structure hiérarchique et de la diversité des charges et des fonctions. Cette égalité s’exprimera dans un partage honnête et respectueux de l’information et des opinions. » (n° 10)
Évidemment, il y a des limites à ne pas franchir. « Toutes les opinions des fidèles ne peuvent pas être purement et simplement identifiées au sensus fidei », souligne Aetatis Novae (n°10). Ce que rappelait déjà Communio et progressio : « Toute opinion que l’on répand ne doit pas être considérée aussitôt comme l’expression de l’opinion publique. En effet, plusieurs points de vue différents peuvent coexister dans le même temps et le même lieu, bien que l’un d’eux ait souvent l’appui d’une majorité. Mais l’avis de celle-ci n’est pas nécessairement le meilleur, ni le plus proche de la vérité. D’ailleurs l’opinion publique est sujette à fluctuations, tantôt gagnant, tantôt perdant du crédit auprès des masses. C’est pourquoi il est sage de garder un certain recul devant des opinions émises en public; il peut même exister des raisons de s’y opposer directement. » (n° 31).
À l’opinion publique elle-même il faut des conditions. À la suite des sociologues, l’Église a pleinement conscience qu’il n’y a pas d’opinion publique à condition :
- qu’elle soit correctement informée ;
- qu’elle soit correctement formée.
Mais pour qu’une opinion publique soit suffisamment informée, il faut que toutes les parties prenantes au débat soient présentes. « Souvent, c’est simplement l’absence d’une des parties à un débat de l’espace public numérique qui explique le succès d’une thèse adverse, ou bien sa présence inadaptée, non participante », relève Nicolas Vambremeersh. Et c’est bien ce qu’on a constaté ces derniers mois sur Internet : l’absence de l’Église…
D. Sur Internet aussi, l’Église doit s’inculturer
Certes, vous me rappellerez, avec raison, que l’Église est aujourd’hui bien présente sur le Web. En Occident, en tous cas, quasiment tous les diocèses, congrégations et mouvements ont leur site. De même que beaucoup de paroisses et communautés. Mais cela est-il suffisant ?
Beaucoup d’observateurs d’Internet aiment à parler du Web comme d’un territoire. C’est une excellente image et l’Église se doit d’évangéliser ce territoire. Mais suffit-il de planter une croix sur une plage pour évangéliser un continent ? De même, il ne suffit pas d’avoir créer un site Web pour être présent sur Internet…
« Le langage des media n’est pas celui de la chaire », rappelait Communio et progressio (n°128). Façon de dire que, dans les médias aussi, une inculturation est nécessaire.
Inculturation sur le Web ? Après tout n’est-ce pas un territoire dont il faut aussi intégrer la culture propre ? « Qui souhaite diffuser un document et/ou une information ou ses idées doit leur faire épouser un contour apte à être propagé, les faire entrer dans la logique médiatique propre au Web », explique Nicolas Vambremeersch pour qui « devenir la référence de sa communauté en ligne suppose une aptitude au dialogue, à l’explication, à la communication ». Et de souligner comment il est nécessaire, pour entrer sur le Web, d’en intégrer les codes : « Un gouvernement, une entreprise, une institution, un intellectuel, s’il souhaite convaincre de ses thèses, ou informer, ne peut plus se contenter d’émettre : il doit participer à cet espace numérique, intégrer ses codes sociaux. »
Cela suppose, explique-t-il, un véritable « don de soi » : « Le réseau social donne à ceux qui le nourrissent, pas à ceux qui s’en servent, ou espèrent simplement en bénéficier sans y entrer véritablement ».
Mais l’Église parle-t-elle si différemment quand Communio et progressio explique que « communiquer, c’est plus qu’exprimer des idées ou des sentiments, c’est faire le don de soi par amour, selon la réalité profonde de son être: la communication du Christ était “esprit et vie” » (n°11) ?
C’est à mon sens ce qui a manqué à l’Église catholique au cours de ces derniers mois : son incapacité à entrer dans la conversation, dans le dialogue, justement dans ce lieu de conversation et de dialogue qu’est le Web, et particulièrement le Web social.
Pourtant, et je finirai par là, quel meilleur moyen aujourd’hui pour entrer en conversation avec les hommes et les femmes de ce temps ? Écoutons ce que disait le Concile dans le décret Ad gentes, sur l’activité missionnaire de l’Église : « Le Christ lui-même a scruté le coeur des hommes, et les a amenés par un dialogue vraiment humain à la lumière divine; de même ses disciples, profondément pénétrés de l’Esprit du Christ, doivent connaître les hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin qu’eux aussi apprennent dans un dialogue sincère et patient, quelles richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations. » (n°11)
Sur le même thème, j'aurais pu évoquer aussi ce que Paul VI dit de l'Église, dans Ecclesiam Suam, qui se doit d'entrer «en conversation» avec le monde.
Ce n’est pas sans raison que j’ai voulu terminer par ce texte conciliaire. Il y a quelques semaines, Mgr Claudio Maria Celli, président du Conseil pontifical pour les communications sociales, avait affirmé qu’un document actualisant Aetatis Novae était en cours, prenant en compte les évolutions liées à Internet. Tout au long de cet exposé, j’ai repris les textes de l’Église, notamment Communio et progressio et Aetatis Novae. Vous l’avez vu : l’Église va déjà beaucoup plus loin dans ses textes que dans sa pratique. Alors a-t-on réellement besoin d’un nouveau texte ou d’appliquer ce qui existe déjà ?