Qu'est-ce la messe tridentine ?
En 1570, par la bulle Quo primum tempore, le pape Pie V promulgue un nouveau Missel. Il répond ainsi au désir du concile de Trente, terminé sept ans plus tôt, d'unifier la liturgie de l'Église catholique latine (d'où son nom de Missel « tridentin »). Mais il s'agit d'une étape dans une longue continuité depuis les premiers missels apparus à la fin du Ve siècle : ce Missel dit « de saint Pie V » connaîtra lui-même de nombreux amendements. Ainsi Pie XII réforma-t-il en profondeur les offices de la Semaine sainte, notamment en rétablissant la veillée pascale. La dernière édition en a été publiée en 1962, sous Jean XXIII (c'est pour cela qu'on parle aussi du « Missel de Jean XIII ») : c'est celle dont l'usage a été permis par Benoît XVI. S'y ajoutent les rituels des sacrements en usage avant que le concile Vatican II.
Qu'est-ce que Vatican II a voulu changer ?
En 1965, Paul VI disait aux prêtres de Rome : « Il s'agit de changer les habitudes ; (...) il s'agit, dans toute assemblée de fidèles, de donner un enseignement plus poussé concernant la prière et le culte ; (...) il s'agit en un mot d'associer le peuple de Dieu à l'action liturgique sacerdotale. » Le Concile n'a pas voulu révolutionner la liturgie. Mais, en retrouvant l'inspiration biblique, en restaurant « une noble simplicité », en revenant à « la pratique liturgique de l'Église des saints Pères », en promouvant la participation active des fidèles, la constitution Sacrosanctum Concilium entendait engager « la restauration générale de la liturgie elle-même » (n. 21). Restauration, donc, et non pas révolution. C'est ce que souligne très clairement Paul VI dans la constitution apostolique Missale romanum par laquelle, en 1969, il promulgue le nouveau Missel romain : il y parle de l'« adaptation » de celui-ci « aux besoins de notre époque » (n. 2).
Le latin est-il réservé à l'ancien rite ?
« La célébration liturgique se fera en latin ou dans une autre langue, pourvu que les textes liturgiques aient été légitimement approuvés », précise le code de droit canonique (canon 928), rappelant que le latin reste, en quelque sorte, la « langue officielle » de l'Église catholique. Ainsi tout prêtre peut légitimement célébrer la messe en latin selon le missel de Paul VI, ce qui est souvent le cas lors de rassemblements internationaux. En outre, c'est en latin que sont publiées les éditions de référence - dites « typiques » - des textes liturgiques. Il faut toutefois rappeler que le latin n'est apparu qu'à la fin du IVe siècle dans la liturgie romaine. Jusqu'alors, celle-ci était principalement célébrée en grec : ce que rappelle le Kyrie eleison (« Seigneur prend pitié ») lors de la préparation pénitentielle.
Quelles différences y a-t-il entre le rite « de saint Pie V » et celui « de Paul VI » ?
Comme le rappelle Benoît XVI dans son motu proprio Summorum Pontificum, il n'y a qu'un seul rite romain, qui peut se célébrer sous deux formes : la forme ordinaire (Missel de Paul VI) et la frme extraordinaire (Missel de saint Pie V). Dans l'une comme l'autre forme, c'est la même foi catholique qui y est exprimée. Il existe toutefois une différence essentielle entre les deux missels : « Le Missel de Trente prévoit la manière dont le prêtre doit dire "sa" messe, souligne un théologien. Celui de Vatican II, pour sa part, commence par ces mots : "Lorsque le peuple est rassemblé..." L'un est le livre du prêtre, l'autre souhaite que la communauté chrétienne puisse entrer au mieux dans la prière de l'Église, pour la gloire de Dieu et sa propre édification. » En d'autres termes : autrefois, les fidèles « assistaient » à la messe, aujourd'hui ils y « participent ».
Selon les traditionalistes, cette insistance sur la dimension communautaire et la participation active des fidèles aurait abouti à gommer la présence du sacrifice de la croix et l'adoration envers la présence réelle, qui seraient mieux exprimées dans la messe tridentine.
Qui peut célébrer la messe tridentine ?
Ceux qui contestent la réforme liturgique affirment que Paul VI, qui n'a pas employé dans Missale Romanum les termes juridiques abrogeant les anciens livres liturgiques, n'a jamais formellement abrogé l'ancien Missel, qui serait ainsi resté en vigueur. Par deux fois, Paul VI a pourtant affirmé le contraire « En promulguant l'édition officielle du Missel romain, Notre prédécesseur saint Pie V présentait celui-ci au peuple chrétien comme un instrument de l'unité liturgique et un témoin du culte authentique dans l'Église. (...) Nous espérons cependant que ce missel sera reçu, lui aussi, par les chrétiens comme un signe et un instrument d'unité », écrit-il dans Missale romanum. Il laisse ainsi penser que le nouveau Missel remplace purement et simplement l'ancien, dans la continuité duquel il se place. Il le redira de façon plus directe encore le 24 mai 1976 en consistoire secret : « Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l'ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des instances du Concile Vatican II, affire-t-il aux cardinaux réunis autour de lui. Ce n'est pas autrement que notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité, à la suite du Concile de Trente ».
Finalement, contredisant Paul VI, Benoît XVI a tranché dans Summorum Pontificum, estimant que « l’édition type du Missel romain promulguée par le Bx Jean XXIII en 1962 » ne fut « jamais abrogée ». Et alors que son prédécesseur Jean-Paul II avait laissé les évêques la possibilité de « permettre aux prêtres et aux fidèles, (...) de célébrer la Messe en utilisant le Missel Romain édité officiellement en 1962 », il affirme que « tout prêtre catholique de rite latin, qu’il soit séculier ou religieux, peut utiliser le Missel romain publié en 1962 par le bienheureux Pape Jean XXIII ou le Missel romain promulgué en 1970 par le Souverain Pontife Paul VI ». Telle est donc la règle liturgique actuelle. Jusqu'à ce qu'un pape décide à nouveau du contraire !
Quelles différences entre les deux Missels ?
En fait, par rapport à celui promulgué par Jean XXIII, le Missel de Paul VI ne comporte pas de changements fondamentaux. Mais il ratifie les évolutions déjà enregistrées depuis le Concile : restauration de la concélébration et de la prière universelle, encouragement de la communion sous les deux espèces et de la célébration face au peuple (déjà possible avec l'ancien missel), suppression d’un certain nombre de gestes du prêtres à l’autel qui avaient enflé la célébration de la messe…
C’est surtout sur le Canon de la messe que les changements sont les plus sensibles. À l’unique prière eucharistique jusque-là admise – le Canon romain, qui devient la première eucharistique – la liturgie en ajoute trois nouvelles qui sont des adaptations de très anciennes formulations. Ainsi la Prière eucharistique II est-elle la transposition quasi-intégrale de la Tradition apostolique de saint Hippolyte de Rome, écrite vers 215, et qui témoigne de la liturgie romaine de cette époque. Et, tandis que, la Prière eucharistique III emprunte aux traditions gallicane (France) et mozarabe (Espagne), la Prière eucharistique IV est une adaptation des anaphores orientales, notamment celle de saint Basile. En 1975, à l’occasion de l’Année sainte, Paul VI en ajoutera cinq nouvelles : trois pour les assemblées d’enfants et deux plus orientées sur le thème de la réconciliation.
Toutes ces prières eucharistiques, comme le Canon romain qui a été modifié, comprennent une invocation à l’Esprit Saint (épiclèse) dont l’absence était considérée jusque là comme une lacune. Par ailleurs, le nombre de préfaces a été augmenté : elles passent de 15 dans le Missel de Jean XXIII à 98… Enfin, pour obéir au désir du Concile d’une meilleure connaissance des textes bibliques, les lectures ont été considérablement enrichies. Ainsi, pour les seuls dimanches, le Missel de 1962 ne comportait que la lecture d’une lettre du Nouveau testament (« l’Épître ») et de l’Évangile sur un cycle de 52 semaines : le Lectionnaire de 1969 prévoit quant à lui deux lectures avant l’Évangile, plus le psaume, selon un cycle de trois ans. En outre, il fait une place beaucoup plus importante à l’Ancien testament, pratiquement inexistant auparavant.
Nicolas Senèze
(à partir d'un article écrit pour La Croix du 17 février 2007, complété par des extraits de mon livre La crise intégriste)
Tableau synoptique des deux Missels
MISSEL DE SAINT PIE V (ou de JEAN XXIII) En latin et dos au peuple | MISSEL DE PAUL VI En latin ou en langue locale, généralement face au peuple |
MESSE DES CATÉCHUMÈNES | OUVERTURE DE LA CÉLÉBRATION |
Asperges me (aspersion des fidèles avec l'eau bénite) | |
Procession d'entrée du clergé | Procession et chant d'entrée |
Signe de croix | |
Introit | Salutation à l'assemblée (3 formules au choix) |
Prières du prêtre au bas de l'autel (dont le Confiteor) | Préparation pénitentielle dont Confiteor (« Je confesse à Dieu ») et Kyrie (« Seigneur, prends pitié ») |
Kyrie | |
Gloria (« Gloire à Dieu ») | |
Oraison | |
LITURGIE DE LA PAROLE (à l'ambon) | |
Épître (lue sur le côté droit de l'autel) | Première lecture (Ancien Testament ou Actes des Apôtres) |
Graduel | Psaume |
Deuxième lecture (Épître ou Apocalypse) | |
Alleluia | |
Évangile (lu sur le côté gauche de l'autel) | Évangile |
Homélie (en chaire) NB : non prévu explicitement par le Missel | Homélie |
Credo (« Je crois en Dieu ») | |
Prière universelle | |
MESSE DES FIDÈLES | LITURGIE EUCHARISTIQUE |
Offertoire | Préparation des dons Offrande du pain et du vin (éventuellement à voix haute) |
Quête | |
Lavement des mains (Lavabo) | |
Oraison « secrète » (= à voix basse) | Oraison |
Préface (15 possibles) | Prière eucharistique (10 possibles) |
Sanctus | |
Prière eucharistique Canon romain : « Te igitur... » | Préface (98 possibles) + Sanctus |
Memento des vivants | Invocation de l'Esprit sur le pain et le vin (1re épiclèse) |
Invocation des saints | |
Consécration et élévation | Récit de l'institution |
Anamnèse | |
Demande d'acceptation du sacrifice | Invocation de l'Esprit sur les fidèles (2me épiclèse) |
Memento des défunts | Invocation des saints |
Demande de participer un jour à la communauté des saints (« Nobis quoque paccatoribus... ») | |
Doxologie finale | |
COMMUNION | |
Pater (« Notre Père », avec sa doxologie dans le missel de Paul VI) | |
Fraction de l'hostie | Geste de paix |
COMMUNION | Agnus (« Agneau de Dieu ») + Fraction du pain |
Baiser de paix (pour le clergé) | |
Agnus | |
Communion du prêtre (sous les deux espèces) | |
Communion des fidèles (hostie reçue dans la bouche, à genoux au banc de communion) | Communion des fidèles (possible sous les deux espèces, dans la main ou dans la bouche, debout) |
Chant de communion | |
Oraison | |
CONCLUSION ET ENVOI | |
Ite missa est | Dialogue de conclusion |
Bénédiction finale | |
« Dernier Évangile » (Prologue de Jean) | Envoi Trois formules possibles dont Ite missa est (« Allez dans la paix du Christ ») |