Eminence,
Le crépuscule auquel vous faisiez allusion lors de notre dernière rencontre vient brusquement de se terminer. Et ainsi se pose pour la Sainte Eglise le tragique problème du lendemain. Le douloureux calvaire de ces quinze dernières années va-t-il se poursuivre ou va-t-il prendre fin ? Sans doute l'avenir appartient à Dieu comme le présent et le passé. Mais Dieu ne veut pas se passer de nous.
C'est pourquoi, je vous supplie, Eminence, de tout mettre en oeuvre pour que cesse le scandale des compromissions de ceux qui occupent les postes d'autorité dans l'Eglise, avec les ennemis de l'Eglise, de tout faire afin que nous ayons un Pape, un vrai Pape, successeur de Pierre, continuateur de ses prédécesseurs, ferme et vigilant gardien du dépôt de la foi.
Or nous avons appris à nos dépens et aux dépens de l'Eglise ce dont sont capables les clercs progressistes. Leurs clameurs dans le Concile résonnent encore à nos oreilles, leurs discours subversifs, leurs organisations publiques et secrètes, leurs liaisons scandaleuses avec les sociétés secrètes. Rien ne les arrête pour arriver à dominer l'Eglise et à en occuper les postes-clés.
Nul doute qu'ils agiront de même dans ce Conclave. Leur occupation du Vatican depuis quinze ans leur donne des atouts considérables, vous êtes bien placé pour vous en rendre compte.
Pour déjouer leurs projets sataniques, vous disposez sans doute de peu de moyens humains, mais vous avez la toute puissance de la Vérité et de l'Esprit-Saint qui se manifeste d'autant plus que les moyens humains sont limités.
Certes vous paraissez peu nombreux décidés à barrer la route au progressisme, au modernisme, au faux oecuménisme.
Cependant ces Cardinaux que vous connaissez mieux que moi sont des personnages de premier plan, bien dignes de porter la tiare et dont l'influence peut être grande au Conclave, unie à la vôtre.
Toutefois l'apport des voix des cardinaux de 80 ans et plus serait peut-être déterminant. Ce qui pose un problème grave pour la validité de l'élection du Pape.
En effet, cette loi Aggravescente aetate est CERTAINEMENT NULLE. Il suffit de relire les magnifiques textes de Léon XIII dans l'Encyclique Libertas du 20 juin 1888, textes se rapportant à la définition de la loi, aux conditions de sa validité, pour conclure sans doute possible à la nullité de ce décret qui est doublement contraire à la définition de la loi : «Ordinatio rationis ad bonum commune promovendum», «si quid igitur, dit le Pape Léon XIII, ab aliqua potestate sanciatur quod a principiis rectae rationis dissideat, sitque reipublicae perniciosum, vim legis nullam haberet, quia nec regula justitiae esset, et homines a bono cui nata est societas abduceret».
Or il est évident que ce décret est opposé à la saine raison et au sens commun. Tout ce qui reste de sagesse humaine dans l'humanité s'oppose à une pareille décision. Et il est évidemment contraire au bien de la société de la priver indûment du concours de ses membres les plus sages et les plus expérimentés.
Il apparaît donc que cette loi étant nulle, ces cardinaux de 80 ans ont un droit strict de se présenter au Conclave et leur absence forcée posera nécessairement la question de l'invalidité de l'élection.
C'est en tout cas faire planer un doute sérieux à ce sujet et accroître la confusion déjà existante parmi les fidèles.
Je tenais, Eminence, à vous faire part de ces réflexions, afin qu'éventuellement vous puissiez en faire part à qui de droit.
Les catholiques fidèles à l'Eglise et à Rome comptent beaucoup sur vous, Eminence, pour sauver la Sainte Eglise du péril qu'elle court.
Que la Vierge Marie vienne à votre secours pour vous donner le courage de l'héroïsme des saints qui, aux heures tragiques de l'histoire de l'Eglise, l'ont délivrée de la main de ses ennemis.
Nous prions avec ferveur à cette intention.
Veuillez agréer, Eminence, l'expression de mon profond respect et de mes sentiments fraternels in Xto et Maria.