Mes chers confrères,
Je crois de mon devoir d’ajouter quelques réflexions personnelles au Bulletin n° 3 du Chapitre général, qui va paraître aujourd’hui, mais dont malheureusement je ne connais pas encore le contenu ! Je veux profiter d’une occasion pour la France, afin que ces lignes vous parviennent plus rapidement, car vous le savez sans doute, la poste fonctionne au ralenti en Italie !
Pour essayer de dissiper ce malaise et ramener la sérénité dans les esprits, je vais essayer, de mon mieux et aussi objectivement que possible, de vous donner un petit film des événements ! Il est facile de comprendre que le départ du Chapitre de Mgr le TR Père ait provoqué une « secousse » en profondeur chez la plupart des confrères !
Il n’est pas habituel de voir un Supérieur général quitter un Chapitre général pour ne plus y revenir ! Vu de loin, le fait peut paraître encore plus étonnant, sinon plus scandaleux ! Même au sein du Chapitre, le départ de Monseigneur a été vivement ressenti, et a provoqué des réactions très diverses. Chez les uns, ce fut de la consternation ; chez d’autres, un sentiment de « libération » ; chez un grand nombre, la désapprobation pour un tel geste jugé inutile, inadéquat, et surtout nuisible à l’unité profonde du Chapitre et même de la Congrégation!…
Comme vous le savez, et comme Mgr le TRP lui-même l’a répété à plusieurs reprises, le Chapitre général, quand il est légitimement réuni, est l’autorité suprême dans la Congrégation (Constitution 74). À lui, en particulier, de faire les lois qui doivent régir la congrégation, comme aussi de faire les lois qui doivent régir le chapitre lui-même. Son pouvoir en ces domaines n’est limité que par le droit commun de l’Église. Ce qui vaut tout spécialement en cette période d’aggiornamento où l’Église elle-même demande instamment à tous les Religieux de revoir toutes leurs Constitutions, lois et statuts, afin de se réformer en profondeur par un retour à l’Évangile, aux Fondateurs, et par une adaptation adéquate au monde d’aujourd’hui.
Je m’excuse de vous rappeler tout cela, mais c’est nécessaire pour comprendre ce qui s’est passé au Chapitre.
Comme vous le savez déjà par le Bulletin n° 1, la première séance plénière officielle a eu lieu le dimanche 8 septembre, au lendemain d’une belle retraite de trois jours, qui fut prêchée par le père Bondallaz. Cette séance était présidée par Mgr le TR Père entouré de son conseil. Ce fut cordial. Le travail a commencé effectivement le lendemain 9 septembre. Déjà on se mit à voter, ce qui est aisé et rapide grâce à une machine électronique. Le premier vote supprimant la lecture de la Constitution 11 est acquis par 91 voix sur 104 votants ; le second vote supprimant le secret sur les délibérations du Chapitre par 90 voix sur 105 votants.
Le lendemain, 10 septembre, on continue à discuter et à voter sur le Règlement du Chapitre… Tout semble marcher à peu près normalement, et presque tous les votes sont acquis avec de très grosses majorités, atteignent parfois les cent voix ! C’était sans doute trop beau !
Car le mercredi 11 septembre, les choses se gâtent. On discute les articles 6, 7 et 8 du Règlement proposé à l’assemblée par le Conseil général. Il s’agit de la présidence du Chapitre, et de la Commission centrale. Pour la présidence du Chapitre, pas de problème ; tout le monde est d’accord pour qu’elle soit réservée de droit au Supérieur général. Malheureusement, aucun texte ne définit les pouvoirs du président !
Mais, ce qui réellement fait problème, c’est la composition de la Commission centrale, qui sera chargée effectivement de la conduite du Chapitre : le Supérieur général doit-il être aussi président de la Commission centrale ? Doit-il même en être membre ?
Les avis sont partagés. Des interventions ont lieu, en sens contraires ! Mgr le TR Père, lui aussi, donne son point de vue, et prend fortement position en faveur de la thèse affirmative, mais en affirmant non moins fortement qu’il s’en remet au vote de l’assemblée. Le vote a lieu. Vous connaissez les résultats : 40 voix pour la présence du Supérieur général dans la Commission centrale ; 63 voix contre !
Puis la séance continue. On passe à d’autres votes. Ainsi le Secrétaire général de la Congrégation est admis comme membre de droit de la Commission centrale par 54 voix contre 52… Et la séance s’achève normalement comme prévu à 11h00 et est suivie d’une demi-heure de détente !
Nouvelle séance plénière à 11h30. Le père Hack, premier assistant, nous annonce simplement que Mgr le TRP lui a demandé de présider la séance, et il ne nous donne aucune explication ! Ce fait m’a frappé immédiatement, et je me suis douté de ce qui se passait, sans d’ailleurs trop y croire, tant cela me semblait anormal !
Je fis part de mes doutes à quelques confrères, nais ils ne les prirent pas au sérieux, ne croyant pas possible une telle éventualité, surtout pour une simple histoire de vote sur une question de règlement !
Mais au cours de l’après-midi, on apprenait de source sûre, qu’effectivement Mgr le TRP avait quitté le Chapitre à cause du vote négatif du matin, pour avoir été mis en minorité au sujet de la présence du Supérieur général dans la Commission centrale. Il semblait donc en avoir fait une affaire personnelle, et transformé ce vote défavorable à son point de vue, en vote de défiance à l’égard de sa personne !
Cette manière de voir les choses est certainement juste en partie, car personne n’ignore les controverses que Mgr le TRP a suscitées depuis six ans ; mais dans le cas présent, elle n’est juste qu’en partie, car nombre de capitulants ont voté non contre une personne, mais pour un principe général…
Le jeudi 12 septembre, Monseigneur resta absent du Chapitre. Le RP Hack préside les séances. Mais il est bien évident que l’atmosphère a changé… Cependant, le Chapitre continue son travail et les votes se succèdent sur le règlement, presque toujours avec de très fortes majorités…
Le vendredi 13 septembre, le Supérieur général est toujours absent ! Mais le samedi 14 septembre, au matin, on nous annonce que Mgr le TRP a l’intention de faire une déclaration à l’assemblée générale… puis en fin de matinée, ou apprend que Monseigneur a renoncé à son projet !
Le dimanche se passe bien, et la semaine suivante, les membres du Chapitre se répartissent en trois grandes commissions, qui se subdivisent chacune en trois sous-commissions. Chaque sous-commission ne parle qu’une langue, mais les commissions sont trilingues : français, anglais, et une autre (allemand, ou hollandais ou portugais). Tout le monde travaille « ferme » sur le but de la Congrégation…
Le fait de travailler tous ensemble un seul sujet, vital pour l’avenir de la Congrégation, et de le faire « en commissions » plurilingues, favorise la compréhension mutuelle, et j’ai l’impression que l’atmosphère s’est de nouveau bien détendue…
Dans cette ambiance qui s’améliore, certains suggèrent que 1es Provinciaux fassent quelque chose, s’ils le peuvent… Hésitation, puis finalement le mercredi soir 18 septembre, les treize Provinciaux se réunissent, discutent amicalement, et décident qu’il vaut mieux ne rien décider, mais laisser les événements suivre leur cours ! Wait and see !
Le lendemain, jeudi 19 septembre, la tension monte à nouveau, à cause d’une proposition concernant l’appel au Chapitre de quelques scolastiques ou jeunes pères de moins de trente ans, en tant qu’« experts de la mentalité des jeunes »… La motion est mise aux voix. Le vote est favorable à cet appel : 67 oui, et 35 non ! L’atmosphère me semble tendue !
Le vendredi 20 septembre est mémorable ! La matinée commence par un discours violent d’un capitulant, véritable réquisitoire contre un certain nombre de capitulants français ; puis, à la suite d’une intervention d’un capitulant français, elle se poursuit par un vote massif en faveur de larges pouvoirs présidentiels accordés au Supérieur général, et sur lesquels, en fait, presque tout le monde était d’accord depuis le début du Chapitre ! Encore fallait-il sans doute le dire ! Elle se termine enfin magnifiquement par l’adoption du Règlement, d’abord chapitre par chapitre, puis dans son ensemble, à la presque unanimité des capitulants. Un vrai succès ! et bien mérité !
À propos de ce vote, je me permets de vous faire remarquer que dans ce Règlement adopté presque à l’unanimité, le Supérieur général ne fait pas partie de la Commission centrale ! Comment expliquer cela ? D’abord peut-être qu’en l’absence de Mgr le TRP, le problème en question est redevenu ce qu’il n’aurait du cesser d’être, un simple point de règlement qui ne mettait en cause ni l’autorité ni la dignité du Supérieur général ! De plus, on venait enfin de voter d’une façon claire et presque unanime les attributions du président du Chapitre. Enfin, depuis bientôt une semaine, la Commission centrale était en place, et fonctionnait à la satisfaction quasi générale, sans nuire à la liberté de qui que ce soit !
Les jours suivants, les travaux continuèrent dans une ambiance améliorée. Le 25 septembre, les grandes commissions trilingues avaient achevé l’essentiel de leur travail sur le but de la Congrégation. Alors la Commission centrale jugea bon de nous proposer une nouvelle méthode de travail, et de nouveaux sujets d’études afin surtout d’améliorer notre rendement !
Le 26 septembre, les capitulants se réunirent par Provinces d’origine afin de se répartir dans les trois nouvelles commissions : X,Y et Z. Cellesci, à leur tour, se subdivisèrent chacune en trois sous-commissions : X 1, X 2, X 3 etc.
Chaque sous-commission comprend une dizaine de membres, mais cette fois-ci de toutes nationalités, au gré de chacun. C’est dire que nous nous internationalisons de plus en plus à mesure que le temps passe. Rien de plus excellent, sauf pour ceux qui ne comprennent bien ni le français ni l’anglais ! Dans ma sous-commission Y3, nous sommes originaires de cinq Provinces et nous travaillons dans une dizaine de pays. Nous employons constamment deux langues comprises par tous : le français et l’anglais ! Avis aux futurs capitulants de l’avenir : apprenez l’anglais !
Cette nouvelle méthode de travail favorise grandement la « fusion » ! Mais surtout favorise un travail intense. Car désormais chaque souscommission a un sujet à « explorer », puis à présenter par écrit aux autres capitulants. Déjà, les résultats arrivent nombreux et risquent même de nous submerger. Ce qui ne veut pas dire qu’ils soient prêts à se faire adopter par l’assemblée générale, car les amendements et les « barrages » sont nombreux et variés avant le vote final ! Jusqu’ici, hormis les textes du Règlement, aucun autre n’est encore arrivé au bout du parcours ! Cependant, le texte sur le but de la Congrégation a quelques longueurs d’avance, et lundi, il abordera sur feuille jaune (!) la deuxième manche… Je lui souhaite bon succès, car il a déjà subi bien des avatars ! Autant vous dire que les capitulants, en ce domaine, ne « capitulent » pas ! La vigilance et l’esprit critique ne désarment pas… C’est vous dire le sérieux et la profondeur du travail fait au Chapitre. Et si certains trouvent que « mes lettres sur le Chapitre sont empreintes de sérénité et d’optimisme », telles en sont les raisons profondes, malgré certaines péripéties qui font peutêtre du bruit, mais qui ne font pas beaucoup de bien, ni à nous-mêmes ni à nos amis.
Le samedi 28 septembre, le Chapitre s’est donné congé, d’abord parce que la fatigue se fait sentir après un mois de travail, et aussi pour permettre aux confrères qui ne connaissent pas les musées de Rome de pouvoir contempler ces trésors de haute culture ! Pour ma part j’en ai profité pour aller revoir les musées du Vatican, et reprendre contact avec nos « ancêtres », les Grecs, les Romains ou les Étrusques, sans oublier, bien sûr, les grands Italiens de la Renaissance !
Le lundi 30 septembre, les capitulants reprenaient le collier… Ce jourlà vit enfin le dénouement de la longue « crise » provoquée par l’absence de Monseigneur à notre Chapitre général… À l’assemblée générale de 16 heures, Mgr le TRP revenait parmi nous, mais pour une demi-heure seulement ! Il nous parle surtout de notre Vénérable Père, de notre attachement à son esprit, de notre fidélité à la vie religieuse, et au but de la Congrégation, et aussi de la méfiance que nous devons éprouver à l’égard de certains courants de pensée néfastes pour la vitalité et l’avenir de l’Église. Il nous fit savoir que c’était sans doute la dernière fois qu’il nous adressait directement la parole, et qu’il attendait avec une certaine impatience la nomination de son successeur ! Qu’il se réservait cependant de nous faire part, par écrit, de ses idées et souhaits sur la réforme de notre chère Congrégation. Après quoi Monseigneur s’est levé, et nous a quittés « définitivement ». Il a regagné « Monte Mario », d’où il continue à régler les affaires courantes de notre grande famille missionnaire et religieuse, en attendant qu’un autre soit désigné pour le relayer à ce poste difficile…
Voilà, chers confrères, quelques indications au sujet de notre Chapitre. Elles sont destinées à compléter ou à expliciter certains passages incomplets ou « obscurs » des trois premiers Bulletins officiels…
Je me suis efforcé de rester aussi objectif que possible, et j’ai évité, à dessein, de vous faire part de réflexions trop personnelles sur les personnes ou les événements. Je me suis surtout limité au principal sujet qui vous préoccupe dans vos lettres et qui concerne Mgr le TRP. Mais je n’ai pu me dispenser de replacer les faits dans un minimum de cadre !
Je ne veux faire le procès de personne, encore moins condamner qui que ce soit. Car je suis persuadé que tous les confrères du chapitre, à commencer par Mgr le TRP, sont des hommes de bonne volonté, qui veulent sincèrement le bien de l’Église et de la Congrégation !
Je pense être moi aussi un homme de bonne volonté, et si j’ai pu vous apporter quelque lumière, et plus encore quelque apaisement je ne regretterai pas d’avoir osé vous écrire cette lettre dont je me serais dispensé si volontiers !
Je vous prie de croire à mes sentiments très fraternels in Spiritu Sancto.