Monseigneur
Je me vois obligé de vous écrire cette lettre pour vous dire l’état d’esprit de la Province de France et des Missions françaises.
Il y a dans la Province et dans les Missions un malaise et une inquiétude qui, depuis un an, continuent à croître et à s’étendre. Les confrères en grand nombre n’ont plus confiance dans leurs supérieurs majeurs : ni dans le Supérieur général, ni dans le Supérieur provincial.
- Le Supérieur général s’occupe directement de la Province de France, au lieu de laisser le Provincial la diriger avec son Conseil.
- Le Supérieur général passe outre aux Règles et Constitutions, agit selon ses vues personnelles, et prend des décisions réservées au Provincial.
- Le Provincial n’est qu’une courroie de transmission à la merci du Supérieur général.
On donne des exemples :
- Ma nomination comme Provincial s’est faite sans les consultations préalables prévues par les Constitutions et sur lesquelles le Chapitre général avait insisté quelques jours avant (Statuts capit., p. 28).
- De même, la nomination des Assistants, qui devaient être présentés par le Provincial.
- L’organisation des œuvres de la Province est réservée au Provincial et à son Conseil (Const. 143). Or le Supérieur général a voulu tout bouleverser directement, par lui-même, annonçant partout des changements non encore décidés, causant ainsi un grand trouble et malaise dans toutes nos maisons.
- Les directeurs des scolasticats doivent être proposés par le Provincial et approuvés par le Supérieur général, et non le contraire.
- Le Provincial répartit les pères et les frères de sa Province, et donc, nomme aussi les professeurs des scolasticats. Or c’est le Supérieur général qui a fait toutes ces nominations.
- Le Supérieur général s’occupe directement de placer et de déplacer des confrères dans la Province.
- Monseigneur a torpillé l’équipe de Chevilly, alors qu’il avait promis de ne pas y toucher au moins cette année.
- Monseigneur a essayé de supprimer la revue Spiritus, cependant que le Conseil provincial est unanime pour la garder.
En résumé, on reproche au Supérieur général de gouverner la Province de France, de la remanier à sa manière, le Provincial n’ayant qu’à entériner et à exécuter ses décisions.
Voilà, Monseigneur, ce que beaucoup de confrères disent et répètent de plus en plus. Le malaise grandit ; la confiance est entamée. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de vous le dire. L’autorité du Provincial est liée à celle du Général.
Nos confrères de France sont actuellement, dans leur ensemble, très susceptibles, très sensibilisés au fait de l’autonomie de la Province. Ils veulent être traités comme les autres Provinces et ne pas être mis en tutelle.
Il nous faut tenir compte de cet état d’âme si nous ne voulons pas provoquer de gestes malheureux. Ceux qui partiraient ne sont pas moins bons que ceux qui resteront. Ils sont en général généreux, prêts à obéir ; mais il faut qu’ils aient confiance.
Tout leur est matière à excitation. Votre lettre sur le port de la soutane les a agacés, non à cause des conclusions, mais à cause des considérants. Mes billets sur l’obéissance provoquent une réaction contraire au lieu d’éclairer et d’apaiser.
Monseigneur, je crois qu’il faut prendre nos confrères comme ils sont. Nous devons tout faire pour ne pas les provoquer. Quelques-uns ont des tendances qu’on doit surveiller – c’est sûr. Mais il y a aussi beaucoup de pères de valeur et de vie religieuse profonde.
Nous sommes heureux, Monseigneur, des conseils que vous nous donnez pour le bien de notre Province. Mais il ne faudrait pas que vous ayez l’air de vous occuper directement de ses affaires. Faites-nous confiance. Nous ferons de notre mieux pour répondre à vos désirs ; mais laissez-nous le temps. La réorganisation se fera peu à peu. Sans rien casser.
Veuillez agréer, Monseigneur et Très Révérend Père, l’expression de ma soumission filiale et respectueuse en Jésus et Marie.