Excellence et Très Révérend Père,
Très occupé depuis mon retour au Congo, j’ai laissé passer le nouvel an sans vous écrire, mais non sans penser à vous devant Dieu surtout. Et en ce jour de la Saint-Marcel, j’ai spécialement prié pour vous le Coeur Immaculé de Marie et votre saint Patron que l’on fête le même jour, sans doute par une délicate attention de la Providence pour le nouveau Supérieur général de la Congrégation du Saint-Esprit et du Saint-Coeur de Marie.
Au moins autant que qui que ce soit, je me suis réjoui de votre nomination à la tête de la Congrégation ; je souffre d’autant plus d’entendre certaines réflexions vous concernant et de constater ou du moins de craindre un certain malaise chez plusieurs membres de la Congrégation, dans leurs relations avec le Supérieur général et préfère, en toute loyauté et simplicité, vous faire part, à toute fin utile, de ce que j’ai entendu ou cru comprendre. On vous reproche surtout à tort ou à raison (je n’ai pas les données ni sans doute les capacités voulues, pour en juger), d’être trop catégorique dans l’expression de certaines idées à option libre et, par ailleurs, d’être trop personnel. Je m’explique.
D’abord, votre prise de position officielle si tranchée en faveur de Verbe et de la Cité catholique a gêné beaucoup de confrères vis-à-vis en particulier des autres évêques ; plusieurs « pères conciliaires » spiritains en arrivaient même à redouter vos interventions au Concile. S’il vous est toujours permis d’avoir votre opinion personnelle sur ce sujet comme sur d’autres où aucun choix n’est imposé, il est regrettable, dit-on, que, du fait que vous êtes Supérieur général, en vous prononçant officiellement et d’une façon si catégorique, vous engagiez la Congrégation elle-même.
Par ailleurs, on dit que, dans votre façon d’administrer la Congrégation, vous seriez trop personnel. Autrefois déjà, et j’ai dû vous le dire en son temps, Mgr Tardy qui avait cependant pour vous beaucoup d’estime (et avec raison) n’avait pas accepté ma proposition de vous nommer vicaire général (charge incompatible avec celle de Supérieur religieux que j’étais déjà) prétextant que, avec vous, il ne serait pas suffisamment au courant de ce qui se projetterait ou se passerait, non certes par manque de franchise, mais par excès de discrétion ou peut-être de confiance naturelle en votre jugement.
Sans doute, doivent être envisagés bien des changements et des bouleversements qui forcément ne seront pas du gré de tout le monde mais sont nécessaires pour vivifier et moderniser cette chère Congrégation ! Autant et plus que quiconque, vous aurez le courage d’agir en conséquence. Mais, au lieu de prendre les Confrères, Conseillers et autres, comme des « organismes d’enregistrement », dans le genre de l’actuel Parlement français, il serait de bonne politique et même peut-être souvent utile de faire d’abord des propositions et d’écouter les avis des intéressés qui ne demanderaient plus quelle nouvelle décision va tout d’un coup leur tomber dessus.
Voilà tout ce qui me pesait sur le coeur et dont j’ai préféré vous faire part, en m’excusant d’avoir peut-être enregistré à la légère (je me fais vieux !) et mal interprété des réflexions entendues ou lues. Et évidemment je m’en voudrais de vous faire de la peine ou de couper votre bel élan (je pense qu’il en faut plus que ça pour l’arrêter). Sans avoir beaucoup de vertu, il m’arrive parfois, et c’est le cas d’aujourd’hui, d’agir pour des raisons surnaturelles, ce qui ne veut pas dire sans me tromper.
Pour être juste, je devrais vous faire part aussi de toutes les réflexions favorables entendues. Tout le monde apprécie en particulier votre ardeur au travail, votre courage et cette si grande amabilité d’accueil qui met à l’aise et rend les contacts si faciles et si agréables. Mais je m’arrête.