L’Afrique, longtemps a été considérée comme un continent sans intérêt ; pays insalubres et inhabités ; pays aux grandes endémies : paludisme, sommeil, fièvre jaune, dysenterie amibienne ; pays des immenses déserts et de la forêt impénétrable. Non seulement ceux qui y étaient nés, mais ceux qui s’y rendaient, étaient considérés comme des déclassés, les derniers dans le genre humain.
Un « 1789 » africain
Journaux, revues, illustrés, émissaires et propagandistes pénètrent partout. La surenchère des partis politiques a promis la liberté, l’égalité, les finances ; on a lancé des phrases qui portent à la révolution ; le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le droit à l’indépendance. En même temps, une sorte de mauvaise conscience gagnait les dirigeants de la Métropole, et un nouveau « 1789 », cette fois africain, se préparait.
Nous y sommes, nous vivons le drame déjà sanglant dans de nombreuses parties de l’Afrique, et il est bien téméraire de dire que cette tragédie est terminée. Où va-t-on ? Il est bien malaisé de le dire. Les dirigeants eux-mêmes des gouvernements se le demandent.
On peut cependant examiner certaines influences, certaines orientations, et conclure par quelques pronostics.
Il est une influence méthodiquement poursuivie, entretenue, organisée : c’est celle du communisme. Les moyens et les méthodes sont connus : ils sont toujours les mêmes :
– Une mystique : l’indépendance totale et la démocratie populaire.
– Un objectif séduisant, comme méthode : le Parti populaire unique
Tout pour le Parti, tout par le Parti
Rien en dehors du Parti
Avec une persévérance et une organisation qui ne peuvent être que soutenues par les partis communistes étrangers, l’influence communiste existe partout.
À Madagascar, les dernières élections municipales l’ont prouvé par la victoire communiste à Tananarive. Le président Tsiranana le dit clairement dans un magistral discours récent. Au Cameroun, l’UPC (Union des Populations camerounaises) reçoit des armes de Guinée et entretient la révolution et l’émeute. Dans les pays de l’Entente, la fermeté des gouvernements s’efforce d’empêcher les développements du communisme. Le Mali est plus menacé. Ce sont en effet les pays les plus proches de l’indépendance totale qui sont les plus suivis et les plus vulnérables, parce que davantage laissés à eux-mêmes.
La mainmise de la Russie ou de la Chine sur l’Afrique devient de jour en jour une réalité !
Chose inattendue pour ceux qui connaissent mal l’islam : ce sont les pays à majorité musulmane qui se détachent le plus rapidement de l’Occident et font appel aux méthodes communistes, assez semblables à celles de l’islam : fanatisme, collectivisme, esclavage vis-à-vis des faibles, sont la tradition de l’islam. Ainsi la Guinée, le Soudan, le Niger et le Tchad étaient – et ne sont pas loin encore – de cette orientation. Le Soudan est déjà organisé intérieurement selon les méthodes d’esprit marxiste. Le Niger et le Tchad doivent d’être demeurés dans la Communauté à une action conjuguée de partis minoritaires puissants et de l’Administration française.
Par contre, les pays à influence profondément chrétienne résistent mieux au communisme et demeurent fortement attachés à l’Occident et à son humanisme. Les pays du golfe de Guinée et de l’Équateur sont nettement orientés vers des solutions d’association avec des pays occidentaux et avec la France spécialement.
Le Sénégal offre un cas très particulier et plein d’inconnu, mais sympathique. Cette vieille colonie française, intégrée à la France politiquement (elle avait ses députés depuis de nombreuses décades) voudrait sentimentalement lui rester liée, mais l’influence du Soudan, le poids des tendances islamiques la poussent vers l’indépendance. Il faut ajouter l’exemple de la Guinée et un certain sentiment de supériorité sur les autres pays. La sagesse sénégalaise l’emportera peut-être, sinon en peu de temps, le communisme régnera de Dakar à Gao, et la guerre d’Algérie pourrait bien continuer quelques années de plus.
L’attitude des pays qui ont gardé, malgré bien des restrictions, la civilisation chrétienne pour base du droit privé, public, national et international, devrait être unanime : soutenir tous les gouvernements qui ont adopté comme base de leurs Constitutions des principes qui sauvegardent la nature spiritualiste de l’homme et, en conséquence, ses libertés fondamentales, et manifester ouvertement à ceux qui ont opté pour une conception matérialiste de l’homme et son esclavage vis-à-vis du Parti soidisant populaire, une désapprobation effective dans les paroles et dans les actes. Toute faiblesse dans ce domaine est une aide très efficace pour l’extension du communisme à toute l’Afrique. Il faut être aveugle pour ne pas se rendre compte de cette évidence.
Le mythe de la démocratie libérale
D’autre part – et c’est le drame actuel de tous les gouvernements bien pensants –, le mythe de la démocratie libérale, contraire aux principes du droit naturel, qui fait déjà le malheur des nations occidentales, risque de miner ces jeunes États. Ils ne pourront résister à l’exercice des libertés anti-naturelles qui accordent les mêmes droits au bien et au mal, au citoyen bienfaisant et au citoyen malfaisant.
Il est temps de comprendre que ces États doivent avoir une autorité forte pour défendre la vraie liberté et interdire les fauteurs de désordre. L’autorité et la vraie liberté sont complémentaires et non contraires. Nous jetterions dans le communisme ces jeunes gouvernements si nous exigions d’eux une démocratie qui est synonyme de démagogie et d’anarchie.
Ainsi les pays chrétiens, et surtout catholiques, ont à manifester une option nette et encourageante pour tous ces États et gouvernements bien intentionnés, et non les suivre dans n’importe quelle aventure.
En nos pays africains, on est plus sensible à l’idéologie religieuse spiritualiste, à l’amitié entre les peuples, aux relations courtoises et dignes, qu’à une aide financière. C’est le fait des pays habitués à vivre de peu, mais très susceptibles dans leur susceptibilité et très ouverts aux réalités spirituelles. Les pays chrétiens auraient tort de négliger cet aspect culturel et religieux qui est leur meilleur ambassadeur. Ne venir qu’après des crédits serait une erreur profonde. D’autres promettront davantage.
Il est une aide précieuse que paraissent souhaiter nos nouveaux gouvernants, c’est une coopération technique dans tous les domaines des activités ministérielles. On peut, dès à présent, qualifier les gouvernements d’après leurs techniciens, selon que ceux-ci sont des hommes de grande valeur technique, et surtout morale, ou que, hélas ! ils ne sont que des aventuriers corrompus et corrupteurs. Heureux les gouvernants qui ont su faire un choix. La discrétion ne me permet pas de préciser davantage, mais les exemples sont nombreux et instructifs.
Un certain nombre de gouvernements retrouvent le vrai visage religieux de l’Afrique, et au grand scandale de nos maçons de l’Éducation nationale, ont explicitement fait appel à Dieu dans leurs Constitutions. On peut affirmer que, comme le Gabon, les autres gouvernements – à l’exception de la Guinée – traiteraient sur le même pied l’enseignement libre et l’enseignement public, s’ils en avaient les finances. Déjà certains ont pris des mesures favorables à l’enseignement religieux dans les écoles publiques : grande leçon pour la France.
En définitive, quoi qu’on dise et quoi qu’on pense, la réalité est aveuglante : il faut choisir pour le message de Fatima ou pour l’enfer dès ici-bas. On voudrait ne pas voir, on voile tant qu’on peut cette réalité par des sourires, des congrès, des discours. Les hommes d’État n’osent pas encore en parler ouvertement, même les catholiques – à part quelques exceptions qu’on néglige – mais il faudra bien un jour qu’ils choisissent entre l’Étoile et la Croix, entre l’enfer terrestre ou le ciel préparé ici-bas. Le choix est en train de se faire en Afrique.
Repris dans France Catholique du 18 décembre 1959